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Morphogenèse de la vallée du Tech à Amélie‑les‑Bains (Pyrénées-Orientales) durant l’Holocène et évolution des versants jusqu’à la fin de l’Âge du Bronze

Tech valley morphogenesis during the Holocene at Amelie-les-Bains (South of France) and slope evolution until the end of the Bronze Age
Patrice Wuscher et Annie Pezin
p. 345-356

Résumés

Des opérations d’archéologie préventive préalables à la construction d’un lotissement ont mis en évidence deux terrasses alluviales et des cônes de déjection inédits dans une portion de la moyenne vallée du Tech dont l’histoire postglaciaire était peu documentée jusqu’à présent. Après une présentation de l’évolution morphodynamique de la vallée durant le Tardiglaciaire et l’Holocène, le fonctionnement de la première génération de cônes de déjection est détaillé. Cela a permis de montrer les changements majeurs qui se sont produits dans ces paysages au cours de la fin de l’Âge du Bronze et d’en discuter les logiques et les modalités.

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Texte intégral

Nous remercions : Les aménageurs, F. et J. Benoît, la ville d’Amélie-les-Bains, C. Cammas (Inrap), J. Kotarba (Inrap), T. Odiot (S.R.A. Languedoc-Roussillon), l’Association Archéologique des Pyrénées-Orientales (A.A.P.O.), N. Fédoroff, J.-M. Carozza (U.F.R. de Géographie de Strasbourg et Geode), V. Belbenoit (Inrap), ainsi que Pascal Bertran et un correcteur anonyme de la revue Quaternaire pour leurs remarques constructives.

1 - Introduction

1.1 - Contexte et cadre géographique

1Les résultats présentés ici sont le fruit du diagnostic archéologique et de fouilles d’épaisses formations superficielles postglaciaires, alluviales et colluviales, contenant des vestiges de l’Âge du Bronze au Moyen-Âge et situées dans la vallée du Tech, à Amélie-les-Bains (SNC Camp las Basses, opérations Inrap en trois phases de 2005 à 2007). Ce fleuve, le plus méridional du Roussillon, prend sa source dans le Massif de Costabone, vers 2 400 m d’altitude, dans la zone axiale des Pyrénées. D’une longueur de 85 km, il emprunte sur une soixantaine de km, jusqu’à Céret, une vallée montagnarde étroite et se jette dans la Méditerranée à Argelès-sur-Mer. Il présente des variations importantes de débit, liées à la combinaison de caractères méditerranéen et montagnard (régime soutenu d’octobre à juin, avec deux pics, décembre-janvier et avril-mai). Surtout, il est marqué par des crues violentes et paroxysmiques, dont la plus célèbre, l’Aiguat de 1940, a marqué les consciences collectives, en déposant des remblais de plusieurs mètres dans les hautes et moyennes vallées, débordant parfois sur les terrasses anciennes (Mussot, 1993).

1.2- Historique des recherches

2L’histoire quaternaire du Tech est connue depuis les travaux de Calvet (en particulier Calvet, 1981) à partir de la géométrie de ses terrasses, notées T1 (la plus récente) à T5, et des sols qu’elles supportent. Cependant, malgré des travaux précurseurs sur le ravinement protohistorique et historique dans la haute-vallée (Allée & Denèfle, 1989), l’histoire holocène de ce cours d’eau est nettement moins connue et seules quelques pistes ont été esquissées (Calvet et al., 2002). Dans la moyenne vallée, avant Céret, les données disponibles sont encore moins nombreuses. Cela tient à la rareté des affleurements, dépendants dans ce secteur de l’étroitesse de la vallée et surtout de la violence des crues qui les ont sans cesse récurés (Calvet et al., 2002).

3Autour de la Méditerranée en revanche, une abondante littérature a été consacrée à la morphogenèse des vallées méditerranéennes depuis le Tardiglaciaire et à la part de l’Homme et du climat dans leur évolution (un historique de ces questions a été détaillé récemment par Bravard, 2006, Provansal & Leveau, 2006 et par Neboit-Guilhot & Lespez, 2006). L’indispensable confrontation avec les autres données environnementales, surtout archéobotaniques, est partout avancée, même si les mêmes difficultés pour démêler l’impact de l’Homme et du climat ont été rencontrées dans la lecture de ces archives (position exprimée par Provansal & Leveau, 2006 et Magny et al., 2002). Géomorphologues, botanistes et archéologues s’accordent aujourd’hui sur la nécessité de préciser le concept d’anthropisation (Brochier et al., 1998 et Provansal & Leveau, 2006) et sur l’importance d’une réflexion spatiale (par exemple Galop, 1998 ; Bruneton et al., 2002 ; Provansal & Leveau, 2006).

4Ainsi, ces recherches ont connu des avancées majeures ces dernières années. En premier lieu, le cadre climatique de l’Holocène méditerranéen a été affiné à partir de corrélations basées notamment sur les niveaux des lacs et sur l’activité fluviale (Magny et al., 2002). Ce travail a démontré une bipartition de l’Holocène centrée autour de 5000 BP (soit environ 3800 BC), avec une première partie plus fraîche et plus humide et une seconde plus « méditerranéenne ». Il met également en évidence une seconde périodicité, d’ordre séculaire, qui s’inscrit dans cette évolution générale de l’Holocène méditerranéen.

5En second lieu, les dynamiques d’anthropisation des Pyrénées ont été précisées par de nombreux diagrammes polliniques (en Cerdagne notamment) inscrits dans une rigoureuse approche géohistorique (Galop, 1998). Si la colonisation de la montagne est évidente dès le Néolithique moyen Chasséen (4200 BC, 3600 BC) et qu’elle s’accélère durant le Néolithique final (autour de 3300 BC), ce n’est qu’à l’Âge du Bronze que se met en place un système pastoral et métallurgique. L’expansion de l’Âge du Bronze s’effectue en deux pics, vers 2000 BC et vers 1000 BC. Au début de l’Âge du Fer, à partir de 800 BC, les pollens reflètent des dynamiques d’anthropisation différentes en fonction de l’altitude. Ainsi, l’hypothèse d’une courte péjoration climatique entraînant le maintien de névés en altitude, vers 2000 m, est avancée pour expliquer une déprise des pâturages d’altitude inscrite dans une phase d’anthropisation croissante (Galop et al., 2008).

6Enfin, une réflexion essentielle a été menée dans les Pyrénées-Orientales sur la part des phénomènes rares et aléatoires dans la morphogenèse et dans les bilans d’ablation à l’échelle des bassins-versants (Calvet, 1993, 2006), autorisant ainsi une lecture plus sûre des archives sédimentaires.

1.3 - Problématiques et méthode

7La présente contribution propose d’abord de compléter le cadre géomorphologique et archéologique de ce qui apparaissait jusqu’à présent comme un vide chronologique et spatiale entre la plaine (par exemple Kotarba et al., 2008) et la montagne (par exemple Galop, 1998). Elle souhaite ensuite réfléchir sur la représentativité des différentes formations rencontrées. Ce problème classique prend ici une acuité particulière du fait du contexte topographique et de la violence des crues. Après avoir posé le cadre, la question des modalités et des rythmes de l’anthropisation est posée. Comme évoqué plus haut, dans cette perspective, l’Âge du Bronze semble une période clé (Claustre, 1997 ; Brochier et al., 1998 ; Galop et al., 2008 ; Kotarba et al., 2008).

8A cet égard, les versants et les petits bassins-versants semblent intéressants, parce qu’ils donnent un signal local, dont les facteurs explicatifs ne sont pas trop nombreux (Carozza et al., 2002 ; Devillers & Provansal, 2003). Pourtant, pour construire des modèles évolutifs, il est nécessaire de pouvoir comparer plusieurs petits systèmes de tailles différentes (Devillers & Provansal, 2003 et Bruneton et al., 2002). D’un autre côté, la contradiction entre la vision régionale offerte par ce genre d’étude avec le fonctionnement très localisé des torrents a été soulevée (Sivan et al., 2002). Dès lors, une approche locale, au plus près des sites archéologiques, peut éclairer ces questions différemment.

9Pour ce faire, les opérations archéologiques présentées ici ont été l’occasion d’une lecture détaillée d’épaisses formations sédimentaires en relation directe avec de nombreux vestiges archéologiques, de l’Âge du Bronze au Moyen-Âge. A l’issue des fouilles, une séquence de versant a fait l’objet d’une étude micromorphologique, démarche très éclairante pour l’étude des sols de ce type d’environnement (par exemple Bertran et al, 1998).

2- L’architecture de la vallée

2.1 - Contexte géologique et topographique

10La zone d’étude, bande longue de 1 km et large en son centre de 300 m environ, est limitée au nord par un versant régulier très raide en forme de demi-hémicycle (fig. 1), entaillé dans les séries de micaschistes à biotites du Canigou marquées par des brèches de cipolin et de dolomies du Cambrien et des écailles calcaires du Mézozoïque (synclinal d’Amélie). Ce versant est défoncé par deux bassins-versants torrentiels, le ravin de Rèche et le ravin de Costes, dont la surface est voisine de 0,2 km2. Entre ces deux organismes, se niche un micro-bassin, la Creu de Brataneu. Au sud, la bande investie est limitée par le lit majeur actuel du Tech, qui s’écoule une dizaine de mètres en contrebas (fig. 2 et 3). Bien que située dans l’étage méditerranéen, la vallée présente encore ici des caractères montagnards marqués.

11Les nombreuses tranchées du diagnostic offrent une carte à haute résolution de la zone investie. Cependant, l’absence d’affleurements aux alentours dissuade toute tentative d’extrapolation. Ainsi, la carte présentée ici se limite aux zones testées à la pelle mécanique et déborde seulement vers la rive sud, pour montrer la morphologie du lit actuel.

Fig. 1 : Localisation des opérations archéologiques en France, dans le département des Pyrénées-Orientales (DAO : J. Kotarba/Inrap) et dans leur contexte topographique.

Fig. 1 : Localisation des opérations archéologiques en France, dans le département des Pyrénées-Orientales (DAO : J. Kotarba/Inrap) et dans leur contexte topographique.

Fig. 2 : Carte des unités rencontrées

Fig. 2 : Carte des unités rencontrées

a : chenal actuel, b : sondages, c : alluvions (blocs), d : alluvions (limons), e : dépôts de versant (limons argileux et graviers), 1 : Tertres funéraires de la fin de l’Âge du Bronze, 2 : Bâtiment du Bronze Final IIIb, 3 : Cimetière de l’Antiquité Tardive, 6 : Mur de terrasse antique.

levé et dessin : P. Wuscher, C. Coeuret, F. Armand, C. Bioul et A. Pezin, équidistance des courbes : 1 m

Fig. 3 : Coupe schématique de la moitié nord de la vallée

Fig. 3 : Coupe schématique de la moitié nord de la vallée

a : alluvions (sables et blocs), b : éboulis de la terrasse, c : dépôts de pente (limons argileux et graviers), d : paléosols, 1 : Tertres funéraires de la fin de l’Âge du Bronze, dans C1c1, projetés ici en fonction de leur position stratigraphique, 2 : Bâtiment du Bronze Final IIIb, 3 : Cimetière de l’Antiquité Tardive, dans C1c1, projeté ici en fonction de sa position stratigraphique, 4 : Murs de terrasses antiques, 5 : Murs de terrasse médiéval ou moderne, 6 : Mur de terrasse antique.

2.2- La terrasse T0

12Le lit actuel, de près de 100 m de large, est encombré de gros blocs (jusqu’à 1 m de grand axe). Il est structuré ici par un chenal principal et un chenal secondaire. Ce dernier est le plus souvent déconnecté du premier. Entre ces deux chenaux, s’étend une large bande de blocs qui dominent de 2 à 3 m le niveau d’étiage.

13La photographie aérienne de 1942 montre clairement que cette morphologie est directement héritée de la crue d’octobre 1940, qui n’a pas ici débordé sur les terrasses. Depuis, l’espace entre les deux chenaux, principal et secondaire, a été colonisé par des peupliers et des saules (fig. 4).

Fig. 4 : Vue du chenal principal et, à gauche de la photo, de la barre de chenal héritée de l’Aiguat de 1940 (avril 2005).

Fig. 4 : Vue du chenal principal et, à gauche de la photo, de la barre de chenal héritée de l’Aiguat de 1940 (avril 2005).

2.3 - La terrasse T1a

14Cette première terrasse (fig. 2), très limitée, à environ +4 m, est en dehors du projet de lotissement et n’a donc pas été étudiée. Notée T1a, elle est étagée et repose sur un niveau de marne du Crétacé. Les sédiments constitutifs de cette terrasse n’affleurent plus (murettes, végétation). On s’en tiendra donc à la description de Calvet (1981) qui y a vu « 1 m de gros galets, surmonté par 1 m de sables limoneux gris ». La coupe, sur la rive Sud, ravivée par le lit mineur du Tech, pourrait représenter un équivalent latéral de cette formation (fig. 4).

2.4 - La terrasse T1b

15Environ 10 m au-dessus du lit majeur actuel, vers 189 m NGF, une seconde terrasse, notée T1b, a été mise en évidence, constituée du même type de matériau que le lit majeur actuel.

16Le toit de T1b est marqué par une ondulation assez importante, de près de 2 m de hauteur, qui divise la terrasse en deux parties. Cette morphologie évoque fortement celle du lit actuel, héritée de la crue de 1940. Ainsi, le point haut pourrait être interprété comme une barre de chenal. Les blocs et les graviers des deux parties sont affectés par une pédogénèse peu exprimée, avec constitution d’un horizon A1 de 20 à 30 cm d’épaisseur et de discrètes bandes vraisemblablement liées à de l’illuviation d’argiles.

17Aucun vestige antérieur à l’Antiquité n’a été découvert sur cette terrasse.

18Au sud, cette probable barre de chenal est occupée dès l’époque romaine et jusqu’au Bas-Moyen-Âge. Seulement caractérisés au cours du diagnostic (Pezin & Wuscher, 2005), les vestiges (sol construit de type calade, fosses, potager…) suggèrent la présence d’un établissement rural, qui prend, d’après le mobilier et surtout d’après la faune (étudiée par V. Forest/Inrap), une certaine importance au Moyen-Âge. Dès les premières phases d’occupation, le talus, au nord de cette éminence est aménagé par un mur monté à partir des blocs alluviaux abondants à proximité (cf. 6, fig. 2).

19Aucun vestige n’a été découvert en contrebas de ces aménagements et la butte est noyée par des dépôts de limons micacés beiges, sans aucune inclusion, présentant de très discrètes lamines horizontales et liés à des inondations du Tech. Un horizon brunifié au sein de ces limons semble indiquer qu’ils se sont déposés en deux phases principales.

20Trois cônes de déjection (C1b1, C1b2 et C1b3) se déposent sur T1b. Rapidement, les dépôts graveleux, légèrement sableux du cône C1b1 vont barrer les débordements limoneux du Tech dans ce secteur. Les sondages ouverts dans ces formations (de 2 à 4 m de profondeur) n’ont livré que des fragments de céramiques de l’Epoque Moderne.

2.5 - La terrasse T1c

21La plus haute terrasse, vers 199 m NGF, est constituée de blocs émoussés et de galets (max. 1 m de diamètre, mais moyenne plutôt autour de 40 à 50 cm) pris dans une matrice sableuse. La géométrie exacte de cette formation (identification des barres de chenal, des berges) n’a pu être dessinée du fait de l’absence de coupes suffisamment profondes.

22Son terme supérieur est marqué par une évolution pédologique de type luvisolique, dont les modalités sont détaillées plus loin.

23Aucun vestige archéologique n’a été découvert en relation directe avec la terrasse et le sol qui s’y développe.

24Trois cônes de déjection se posent sur cette surface (C1c1, C1c2 et C1c3). Deux ont été sondés (C1c1 et C1c2) et présentent une stratigraphie identique contenant des vestiges de la fin de l’Âge du Bronze et de l’Antiquité Tardive.

2.6- Le cône C2

25Des dépôts graveleux et caillouteux, dans une matrice sablo-limoneuse, brun rouge, dans la parcelle voisine (Pezin, 2008), immédiatement à l’ouest de la zone d’étude, dominent l’ensemble des formations rencontrées. Issus des ravins de Rèche et de Font d’en Pagès, les constituants, la géométrie et l’altération de cette formation poussent vers une attribution ancienne indéterminée et notée C2.

2.7 - Discussion sur l’âge des terrasses

26C2 constitue un héritage, conservé dans une situation abritée, contre lequel s’appuient les terrasses et les cônes postérieurs. La nature des sédiments de ces terrasses n’a pas permis la conservation de matériaux organiques pour une datation 14C. La faible altération des matériaux, l’histoire sédimentaire que ces formations supportent et leur place dans la vallée permettent cependant quelques remarques. Aucun indice ne suggérant l’existence d’une terrasse de la première moitié de l’Holocène en Roussillon (Calvet et al., 2002), nous proposons à titre d’hypothèse une attribution de T1c au dernier cycle glaciaire. Cette attribution serait conforme au premier schéma de Calvet (1981) et présenterait des similitudes avec les vallées alpines sous influence méditerranéenne, où le « Remblaie- ment Postglaciaire Principal » est quasiment absent dans les collecteurs principaux (Jorda et al., 2002).

27En revanche, l’attribution de T1b est nettement moins évidente. Aucun tesson de céramique modelée protohistorique n’a été trouvé dans les nombreuses tranchées ouvertes sur cette terrasse, alors que les occupations de la fin de l’Âge du Bronze sont denses sur le sol cumulique (cf. infra) qui se développent sur T1c. De fait, aucun vestige antérieur à l’époque romaine n’ayant été trouvé, il est tentant d’attribuer T1b à la transition Subboréal/Subatlantique, soit au Premier Âge du Fer, qui est marqué par une recrudescence de l’activité fluviale et torrentielle au NE de l’Espagne (Guttierez-Ellorza& Pena-Monné, 1998), sur la bordure sud du Massif Central (Carozza & Carozza, 2000), dans les Alpes du Sud (Jorda et al., 2002) et sur une grande partie du pourtour de la Méditerranée (Neboit-Guilhot & Lespez, 2006). Toutefois, la forte similitude de la morphologie de ces dépôts grossiers avec celle du lit actuel, héritée de l’Aiguat de 1940, incite à la plus grande prudence concernant l’âge et la représentativité de cette formation (Calvet, 2006).

3 - Les formations de versants

28Les séquences de versant épousent ce système de terrasses. On s’attachera ici à décrire la première génération de dépôts, inscrite sur T1c. La même séquence ayant été retrouvée dans les deux cônes sondés, un log de référence (log 222) dans T1c2 a été choisi pour faire l’objet d’une description détaillée (fig. 5).

Fig. 5 : Log stratigraphique du cône C1c2 et position des échantillons.

Fig. 5 : Log stratigraphique du cône C1c2 et position des échantillons.

a : argiles, b : sables, c : graviers, description détaillée dans le texte.

3.1- Stratigraphie

29De la base au sommet, les unités suivantes ont été observées :

30Unité 1 : Galets et blocs faiblement altérés, compris dans une matrice de sables grossiers gris.

31Unité 2 : Sables moyens à grossiers gris, 10YR5/6, brun jaune (humide), structure particulaire.

32Unité 3 : Sables fins brun jaune à gris, 10YR5/6 à 4/4, brun jaune (humide), bariolé. De discrètes lentilles argileuses brun orangé ont été observées (cf. paragraphe 3.3).

33Unité 4 : Horizon de sables fins limono-argileux, 2,5Y4/4 brun (humide), légèrement plus clair à la base, structure bioturbée, peu exprimée du fait de la texture, pédotubules à remplissages limoneux beiges.

34La limite entre 4 et 5 est diffuse, marquée sur le terrain par quelques rares graviers et de très petits fragments de terre cuite.

35Unité 5 : Horizon de limons argilo-sableux, 2,5Y3/2 brun gris très foncé (humide), structure prismatique à polyédrique.

36Unité 6 : limons argilo-sableux, 2,5Y3/2 brun gris très foncé (humide), structure prismatique à polyédrique. Le terme supérieur de cette unité est marqué par de grosses pédotubules (1 x 4 à 5 cm) remplies de limons-sableux beiges.

37Unité 7 : Limons argilo-sableux, 10YR5/6 brun jaune (humide), très hétérogène, présence de graviers (moy. : 2 à 3 cm) organisés parfois en lits lâches et discontinus, structure polyédrique sub-anguleuse.

38Unité 8 : Sables fins limono-argileux, 10YR6/3 brun pâle (humide), abondance de graviers (2 à 3 cm), présence de lentilles et de nappes de graviers présentant une structure quasi-ouverte, structure polyédrique sub‑anguleuse en dehors de ces nappes.

39Unité 9 : Sables fins limono-argileux, 7,5YR5/2 brun (humide), abondance de graviers (2 à 3 cm), structure polyédrique sub-anguleuse.

40Si cette bipartition est frappante, la différence de l’ensemble de ces dépôts avec ceux des cônes C1b, datés par des céramiques de l’Époque Moderne, est encore plus tranchée. Dans ces derniers, on note l’absence quasiment complète de matrice fine, de taille inférieure aux sables fins.

41Unité 10 : Sables fins limono-argileux, 10YR6/3 brun pâle (humide), abondance de graviers (2 à 3 cm), structure polyédrique sub-anguleuse. Vers le centre de C1c1, un chenal s’ouvre dans ce niveau et recoupe l’intégralité de la séquence sous-jacente.

42Unité 11 : Sables fins limono-argileux, 7,5YR5/2 brun (humide), abondance de graviers (2 à 3 cm), structure polyédrique sub-anguleuse.

43On note une partition nette entre le terme inférieur de la succession stratigraphique (unité 2 à 6) et la partie supérieure (8 à 11). Le premier, brun sombre, structuré pédologiquement et sans inclusion (unités 2 à 6), peut être interprété dans son ensemble comme un sol cumulique polyphasé. Le second, chargé en graviers et en sables, organisés en lits, témoigne d’une prédominance des dynamiques de versants, marquée seulement par une petite phase de pédogenèse exprimée par une brunification de l’unité 9.

3.2- Structures archéologiques

44L’étude détaillée des vestiges archéologiques est encore largement en cours (A. Pezin, R. Donat, J. Hernandez, J. Kotarba, F. Mazière et P. Wuscher/Inrap), mais les grandes lignes sont posées.

45Sur l’horizon de limons argilo-sableux, brun gris très foncé à pédotubules beiges (unité 6) ont été découverts trois tertres funéraires en pierres. Seul l’un d’eux a pu être fouillé. Dans un premier temps, il s’agit d’une chambre funéraire quadrangulaire comportant une zone de circulation et un espace réservé dans lequel ont été mis en évidence les restes de trois ou quatre individus. Dans l’at- tente de datations 14C et d’après l’unique tesson découvert, ce premier état pourrait dater du Bronze Final II (environ 1100 BC, 900 BC). Cette chambre est fortement déstructurée et recouverte par un tumulus quadrangulaire de pierres (4 x 5 m, 1,30 m de hauteur). A la périphérie du monument, ces pierres peuvent reposer sur des lentilles sablo-gravillonneuses courtes et discontinues qui contournent le tumulus. La base de certaines d’entre elles n’est pas posée sur une surface plane et présente un pendage. Enfin, les colluvions accumulées autour du monument sont plus chargées en graviers sur le haut du tertre et semblent légèrement mieux triées sur les côtés. Ces traits semblent suggérer des phénomènes de ruissellement, avec une concentration des flux de l’unité 7 et du ravinement autour des tertres. Toutefois, plusieurs dépôts de fragments de céramiques, associés à des poches charbonneuses ont été mis en évidence entre les pierres. L’état de la céramique exclut un remaniement, même très local, avec les pierres. En outre, ces dernières, malgré les traits liés au ravinement, ont conservé grossièrement leurs alignements. Nous proposons de voir ici les témoins de phases d’entretien entre les épisodes érosifs. Si les datations 14C du premier monument peuvent réserver des surprises, les céramiques déposées entre les pierres de la couverture sont attribuables au Bronze Final IIIb (900 BC, 800 BC).

46Sur l’unité 7, dans l’axe de la Creu, a été découvert un bâtiment sur poteaux de 25 m de long pour 7 m de large. Des murs de terre massive sont conservés sur 10 à 20 cm d’élévation. Plusieurs foyers aussi bien sur le sol intérieur qu’extérieur ont été mis en évidence. Les nombreuses céramiques écrasées en place (étude F. Mazière/Inrap) permettent une attribution au Bronze Final IIIb (environ 900 BC, 800 BC). Des meules et des molettes, ainsi qu’un fragment de moule de bronzier sont associés à cet abondant vaisselier. La faune semble surtout composée de restes d’ovicaprins et de porcins (étude en cours V. Forest/Inrap).

47Sur l’unité 9, a été mis en évidence un ferrier républicain (150, 50 BC) et surtout de nombreux vestiges liés à une petite communauté de l’Antiquité Tardive/ Haut Moyen-Âge. Ce groupe construit un bâtiment et une forge (étude menée en collaboration avec le laboratoire UTAH-TRACES de l’Université Toulouse le Mirail), aménage la topographie avec des murs de terrasses, cultive la vigne et enterre ses défunts au bord d’un chemin dans l’axe de la vallée.

48Les tertres, dont la datation attend d’être précisée, sont donc posés sur le sol cumulique polyphasé, tandis que la cabane du Bronze Final IIIb (900 BC, 800 BC) s’ins- crit sur les tout premiers dépôts du cône de la Creu de Brataneu, dans l’axe du ravin. La partition de la séquence s’effectue donc au moment de l’occupation de la cabane, fossilisée au cours de son fonctionnement ou immédiate- ment après son abandon. Les vestiges antiques sont quant à eux compris dans la seconde partie de la séquence, plus graveleuse.

3.3- Micromorphologie du pédocomplexe de la préhistoire récente à l’âge du fer

49Unité 2 : Distribution fins/grossiers de type énaulique à géfurique, matrice peu abondante : limons argileux poussiéreux gris brun à chocolat (LPNA) ; porosité d’entassement lâche, un chenal racinaire de 2 à 5 mm; à l’interface de 2 et 3 : présence de deux bandes (2 à 3 mm x qq µm) de limons argileux sous une plage (environ 1 cm d’épaisseur) de sables lavés (fig. 6), présence aussi d’une bande formée par des revêtements argileux orangés et striés (fig. 7).

50Unité 3 : Distribution fins/grossiers de type géfurique/ chitonique, avec des plages porphyriques, matrice peu abondante de limons argileux poussiéreux gris brun à chocolat (LPNA) ; porosité d’entassement lâche, un chenal racinaire de 2 à 5 mm ; revêtements argileux orangés, parfois microlités et contenant des débris noirs isotropes, puis revêtements poussiéreux coalescents (fig. 8).

51Unité 4 : Distribution fins/grossiers porphyrique, matrice abondante brun gris à orangé (LPNA) ; porosité bien exprimée (20 à 30 %) sous la forme de chambres, de chenaux et de cavités ; revêtements argileux orangés puis revêtements poussiéreux coalescents (fig. 8).

52Unité 5 : Distribution fins/grossiers porphyrique, matrice abondante brun orangé (LPNA), biréfringence striée marquée, présence de papules argileuses (fig. 9) et de charbons (fig. 10) ; porosité bien exprimée (20 à 30 %) sous la forme de cavités ouvertes (entre les agrégats), de chambres et de chenaux ; nombreux (5 %) nodules d’oxydes de fer de 200 à 500 µm (fig. 11), charbons ferruginisés (fig. 10) ; revêtements poussiéreux coalescents.

53Unité 6 : Distribution fins/grossiers porphyrique, matrice brun orangé (LPNA), biréfringence striée très marquée, présence de papules argileuses (fig. 9), de charbons et de microcharbons, petits graviers de calcaire ayant subis une altération thermique ; porosité bien exprimée (20 à 30 %) sous la forme de cavités ouvertes, de chambres, de chenaux et de fissures ; nombreux (5 %) nodules d’oxydes de fer de 200 à 500 µm (fig. 11), charbons ferruginisés (fig. 10) ; revêtements poussiéreux coalescents, remplissages des pédotubules centimétriques : limons beiges, charbons et sables lavés (fig. 12).

54Unité 7 : Distribution fins/grossiers porphyrique, matrice beige brune hétérogène (LPNA), ponctuée de petits points noirs isotropes (50 µm), biréfringence striée assez marquée, intercalations, inclusions de charbons et de fragments de croûte de surface (fig. 13) ; porosité : bien exprimée (30 %, dont 20 %) sous la forme de fissures, de vésicules et de quelques chenaux ; certains charbons sont ferruginisés ; revêtements poussiéreux coalescents.

55On note un enrichissement en particules fines et un caractère bimodal marqué à partir de l’unité 4, mais surtout dans les unités 5 et 6. Ces dernières unités se caractérisent aussi par quelques papules argileuses et par une abondance de charbons et de micro-charbons. L’unité 7 quant à elle, interprétée sur le terrain comme des colluvions, est chargée en gravillons et en sables, vaguement organisés sous la forme d’intercalations, et des fragments de croûte de surface ont été observés.

56Pourtant, si les unités 5 et 6 présentent des traits liés à des processus de versants, ces caractères restent discrets et ont été intégrés dans le sol, dont le fonctionnement n’a pas été bouleversé. Ainsi, les argiles de la masse fine des unités 5 et 6 présentent notamment des assemblages de biréfringence striée assez marqués. Les nombreux nodules d’oxydes de fer et les charbons ferruginisés sont responsables de la couleur de ces horizons et semblent liés à des d’alternance d’humectation/dessication. Il est intéressant de constater que l’unité 7, qui marque la fin de la vie du sol sous-jacent, présente elle aussi des assemblages de biréfringence striée, contient des nodules d’oxydes de fer et certains charbons sont ferruginisés. Ces traits sont cependant nettement moins exprimés.

57La porosité des unités 4, 5 et 6 est liée à la faune du sol et à une évolution pédologique longue. En revanche, celle de l’unité 7, associée à des intercalations, pourrait être liée à un écoulement à l’état de semi-liquidité (Bertran & Texier, 1999 et Fédoroff & Courty, 2002).

58Cinq types de revêtements ont été observés. Le plus ancien, dans les unités 2 à 3 est constitué de limons argilo-poussiéreux organisés en bandes millimétriques, associées à des plages lavées. Le second est constitué d’argiles orangées majoritairement non litées, contenant parfois des débris opaques. D’abord organisé en bandes (unité 3), ce trait est réparti de manière plus aléatoire dans la porosité des unités 3 et de la base de l’unité 4. Le caractère poussiéreux et limoneux du premier type pourrait encore évoquer une influence périglaciaire, tandis que les argiles orangées pures signent un environnement tempéré et forestier (Cremaschi et al., 1990 ; Fédoroff & Courty, 2002). L’organisation en bandes de ces revêtements peut résulter d’épisodes d’engorgement des sédiments immédiatement sous-jacents. Le troisième type est constitué de limons-argileux poussiéreux coalescents, c’est-à-dire qui couvrent l’intégralité des bords des vides. Ces revêtements ne se sont donc pas déposés en relation avec des percolations rapides (Fédoroff & Courty, 1994). Leur caractère très poussiéreux peut signer l’impact de l’homme et de l’agriculture, mais les conditions calmes dans lesquels ils se sont déposés supposent la persistance d’une couverture protectrice à la surface du sol. Le quatrième type, les pédotubules centimétriques de l’unité 6, était déjà visible sur le terrain. En lame mince, il est constitué de limons et sables triés, contenant quelques micro-charbons. Il résulte d’une certaine hydrodynamique inscrite dans une porosité importante d’origine biologique. Ces traits rappellent ceux décrits à Vaise par Bertran (Bertran et al., 1998). Ces auteurs les interprètent comme des terriers de vers de terre d’un sol soumis à une très forte activité biologique, remplis par des nappes de débordement d’un cône. Le cinquième et dernier type est constitué de calcitisations secondaires, essentiellement micritiques, résultant partiellement de la dégradation de pseudomorphoses racinaires. Il recouvre l’ensemble des précédents, dans toutes les unités.

59Les lames offrent donc une lecture détaillée du sol cumulique du terme inférieur de la séquence, dont les unités 2 et 3 peuvent être interprétées comme un horizon Bt et les unités 4, 5 et 6 comme un horizon A1 hypertrophié. Surtout, elles permettent de caractériser l’ouverture progressive du milieu, totalement achevé au moment de la fossilisation du sol par les écoulements boueux de l’unité 7.

Fig. 6 : Unité 2 : Sables lavés et revêtements limono-argileux.

Fig. 6 : Unité 2 : Sables lavés et revêtements limono-argileux.

Fig. 7 : Unité 3 : Bande de revêtements argileux.

Fig. 7 : Unité 3 : Bande de revêtements argileux.

Fig. 8 : Unité 4 : Revêtements argileux recouverts par des revêtements poussiéreux.

Fig. 8 : Unité 4 : Revêtements argileux recouverts par des revêtements poussiéreux.

Fig. 9 : Unité 6 : Papule argileuse.

Fig. 9 : Unité 6 : Papule argileuse.

Fig. 10 : Unité 6 : Charbon ferruginisé.

Fig. 10 : Unité 6 : Charbon ferruginisé.

Fig. 11 : Unité 5 : Imprégnation ferrugineuse.

Fig. 11 : Unité 5 : Imprégnation ferrugineuse.

Fig. 12 : Unité 6 : Revêtements limoneux poussiéreux.

Fig. 12 : Unité 6 : Revêtements limoneux poussiéreux.

Fig. 13 : Unité 7 : Fragment de croûte de surface.

Fig. 13 : Unité 7 : Fragment de croûte de surface.

4 - Discussion

60De prime abord, les dépôts du Tech paraissaient les moins évidents à déchiffrer. Le transport d’une importante charge de fond, provenant de la remobilisation de dépôts pléistocènes (Calvet et al., 2002), est tout à fait déterminant dans son fonctionnement. La propagation des éléments grossiers le long du continuum fluvial peut être utilisée pour mettre en évidence des épisodes de forte hydraulicité sous contrôle climatique (Allée & Lespez, 2006). Toutefois, le décryptage du transit de ces éléments, qui obéit aussi à des paramètres purement physiques, est loin d’être évident (Provansal & Leveau, 2006). Ici, ce caractère est exacerbé par la taille des blocs. Ceux-ci ne semblent mis en mouvement que lors d’épisodes exceptionnels, qui présentent un fort impact sur la morphologie des lits et sur les paysages associés (Calvet, 2006). Le lit actuel, totalement métamorphosé par la crue de 1940 est à cet égard éclairant. Pourtant, ce mode de fonctionnement ne semble pas anéantir toute tentative de reconstitution historique. L’élargissement de la vallée et la hauteur des terrasses permettent ici une lecture de la géométrie d’une portion de la vallée.

61En second lieu, le premier Âge du Fer est caractérisé par une forte hydraulicité qui s’exprime dans une période de forte croissance (métallurgie, méditerrannéisation des échanges…) autour de la Méditerrannée (Neboit-Guilhot & Lespez, 2006 ; Guttierez-Ellorza & Pena-Monné, 1998 ; Jorda et al., 2002). Ainsi, même si la morphologie de T1b peut-être liée à un seul événement, si une datation 14C confirme son attribution à cette période, elle s’inscrirait tout de même dans une période hydrodynamique. Si tel est le cas, cette concordance des temps ne serait pas sans rappeler celle des aiguats de l’Époque Moderne avec le Petit-Âge-Glaciaire (Calvet et al., 2002). Les dépôts intercalés sur et entre les dépôts d’épisodes paroxysmiques semblent quant à eux enregistrer des événements de fréquence plus élevée, plus représentatifs des taux d’ablation à l’échelle du bassin-versant (Calvet, 1993). Du coup, le comblement de la paléo-topographie de T1b par des limons signe vraisemblablement un bassin-versant marqué par une productivité importante en limons. A l’avenir, l’origine exacte de ces derniers devra être recherchée.

62Les apports de versant inscrits sur ces formations fluviotorrentiels semblent moins complexes à déchiffrer. En premier lieu, hormis C2, observé lors d’un diagnostic voisin et non daté, aucune formation de versant du dernier cycle glaciaire n’a été mise en évidence. Faut-il imaginer un curage par le Tech de dépôts plus anciens lors de la mise en place de T1c ? En outre, dans les formations de pentes de l’Holocène, aucun fragment de couverture pédologique évoluée et ancienne n’a été mis en évidence. Si ces observations permettent de compléter le cadre géomorphologique régional, leur principal intérêt réside cependant dans l’évolution de petits bassins torrentiels pendant l’Holocène. Ceux-ci donnent l’impression d’un enregistrement plus continu, bien qu’il soit fort probable qu’une partie des dépôts ait aussi été tronquée par le Tech.

63Les revêtements argileux de l’horizon B du sol alluvial fossilisé par les dépôts de pentes, témoignent d’une pédogenèse de type luvisol. Ces traits illuviaux sont également exprimés plus en aval, sur la terrasse du Boulou, notée T1 par Calvet (1981) et étudiée dans le cadre de la fouille préalable à l’élargissement de la route D618 (étude en cours sous la direction de J. Kotarba/Inrap). L’illuviation des argiles apparaît comme un des facteurs essentiels de la pédogenèse autour de la Méditerranée (Fédoroff, 1997). Peu étudiés dans les Pyrénées-Orientales, il est difficile de dire si ces traits sont encore fonctionnels aujourd’hui dans le secteur, ou s’ils traduisent des conditions pédoclimatiques propres à la première partie de l’Holocène.

64Les premiers apports de versant sont des dépôts fins, contenant quelques petits fragments de céramiques modelées et des charbons. Ils ne bouleversent pas ce fonctionnement pédologique. Ces fines, mélangées aux sables de l’horizon A1, semblent liées à des processus de ruissellement diffus. Toutefois, la présence de papules argileuses témoigne d’un décapage des sols assez important à l’amont. Les nodules d’oxydes de fer et la ferruginisation des charbons indiquent quant à eux un engorgement saisonnier de cet horizon. Des revêtements poussiéreux succèdent aux argiles illuviées. S’ils témoignent d’une ouverture du milieu, leur aspect couvrant, qui n’obéit pas à des infiltrations très hydrodynamiques, montre la persistance d’une couverture végétale, peut être herbacée (sol de prairie ?). Accrétions sédimentaires, charbons et fragments de céramiques modelées peuvent être interprétés comme les effets de l’anthropisation.

65Des changements majeurs s’expriment d’abord par la fermeture de l’importante porosité biologique de l’horizon anthropisé/unité 6 par des dépôts liés à des colluvions boueuses dans un contexte de sol mis à nu. Surtout, après l’érection des tertres, une seconde génération de dépôts boueux se met en place (unité 7). L’occupation humaine, quant à elle, se traduit par l’entretien des monuments funéraires et par une dénudation importante des sols du bassin-versant (fragments de croûtes de surface). Toutefois, doit-on y voir une occupation continue ? Dans ce cas pourquoi installer un bâtiment, environ un siècle plus tard, dans l’axe même de la Creu de Brataneu ? De fait, ce bâtiment est recoupé sur un peu moins d’un cinquième de sa superficie et recouvert par des coulées boueuses sur le reste. Si ces épisodes ont assuré un état de conservation des vestiges tout à fait exceptionnel, il est possible qu’ils aient provoqué l’abandon de la structure, laissant à même le sol des objets précieux, telles que hache, épingle, moule de bronzier et céramiques décorées entières. Ces dépôts marquent un basculement tout à fait irrémédiable de l’environnement local. Dans quelles logiques s’inscrit cette métamorphose du milieu ?

66On a vu que l’Âge du Bronze est une période de forte expansion des communautés (Brochier et al., 1998, Galop, 1998 et Galop et al., 2008), surtout à la fin de la période (Claustre, 1997 ; Kotarba et al., 2008). Pourtant, les traces d’anthropisation sont ici anciennes, mais une couverture végétale est maintenue et le ruissellement diffus semble l’agent principal. Doit-on voir dans les dépôts qui fossilisent les tertres et le bâtiment le seul effet d’un changement de pratique culturale ? La comparaison de ces épisodes avec l’Époque Antique, un millénaire plus tard, est éclairante. En effet, la forte activité métallurgique, à proximité immédiate des ravins étudiés, à partir du IIe siècle avant notre ère (Kotarba et al., 2008), n’est absolument pas enregistrée ici. Ce n’est pas le cas non plus des occupations denses du Ve siècle de notre ère inscrite pourtant dans une période de forte activité fluviale (Leveau et al., 2002), dont semble témoigner par ailleurs la première génération de limons sur T1b. Durant ces périodes, le site se trouve cependant dans les environs immédiats de la ville d’Amélie-les-Bains, dans un terroir très aménagé et entretenu (murs de terrasses, fosses de plantations…). Par ailleurs, en Languedoc, d’après l’anthracologie, l’exploitation des forêts pour l’activité métallurgique semble raisonnée, pour toujours maintenir une ressource en bois disponible (Chabal, 1997). Dès lors, il n’est donc pas évident que la métallurgie ait eu un impact sur les dynamiques des versants.

67En terme de climat, le lessivage et le caractère humide de l’horizon humifère du sol du terme inférieur de la séquence n’ont pas d’équivalent dans les autres dépôts observés sur l’ensemble du tronçon investi. Il pourrait témoigner des conditions de la première moitié de l’Holocène (Magny et al., 2002). Pourtant la fossilisation de ce sol intervient plus de deux millénaires après la fin de cette période, ce qui témoignerait donc d’une stabilité importante du sol, malgré une anthropisation avérée. Faut-il voir dans ce basculement les effets conjoints des sociétés (changement de pratique culturale ?) et de la péjoration climatique de la fin du Suboréal, qui s’exprime mieux dans les Pyrénées que durant le Petit-Âge- Glaciaire (Magny et al., 2002 et Guttierrez-Ellorza & Pena-Monné, 1998) ?

68Comme ailleurs, il paraît donc difficile de démêler la part de l’homme et du climat dans ces dynamiques, tant ces deux facteurs interagissent. Il paraît donc logique de rejoindre une nouvelle fois une lecture médiane privilégiant un « contrôle climatique subordonné à un effet de seuil » lié aux actions des sociétés (Neboit-Guilhot & Lespez, 2006).

5 - Conclusion

69Cette intervention a permis de discuter la représentativité de deux types d’enregistrement dans un secteur de la vallée du Tech dont l’Holocène était peu connu. Les méthodes de l’archéologie préventive ont permis de préciser et d’affiner le caractère segmenté des formations fluviatiles dans cette portion de vallée, même si les calages chronologiques demandent encore à être précisés. L’enregistrement détaillé ici devra à l’avenir être comparé à d’autres dépôts dans le bassin-versant, notamment dans la plaine (par exemple Carozza, 2005). Il gagnerait également à être mis en perspective avec une lecture fine de l’occupation du sol, exercice qui n’a pas encore été réalisé de manière méthodique dans la moyenne et la haute vallée du Tech (Kotarba et al., 2008).

70Les dépôts des petits bassins-versants semblent donner une image diachronique, au plus proche des sites archéologiques. Leur étude a montré le fonctionnement du luvisol qui se développe sur la terrasse du dernier cycle glaciaire. Jusqu’à la fin de l’Âge du Bronze, le fonctionnement de ce sol n’est pas modifié par l’ouverture du milieu par les sociétés. Hormis le ruissellement, le transit latéral semble très modeste, malgré un décapage des sols des versants. Ces paysages vont se modifier radicalement et prendre leur aspect actuel après le Bronze Final IIIb. L’interprétation de cette bipartition de la séquence n’est pas évidente. Si elle trouve un équivalent avec la mise en place de la terrasse T1b, dont la datation devra être affinée, elle pourrait être partiellement sous contrôle climatique. En fait, si une lecture conjointe et simultanée, archéologique et géomorphologique, de cette portion de vallée a permis de réfléchir sur la continuité de l’occupation anthropique et sur son intensité, seuls d’autres sites permettront de préciser les tendances observées. Il faudra notamment caractériser la nature des sols de la première partie de l’Holocène en Roussillon (des sols lessivés, marqués par une humidité plus importante qu’aujourd’hui ?) et démêler la part des tendances locales et globales dans leur dégradation. Dans cette perspective, une attention particulière devra être accordée aux périodes historiques.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 : Localisation des opérations archéologiques en France, dans le département des Pyrénées-Orientales (DAO : J. Kotarba/Inrap) et dans leur contexte topographique.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5687/img-1.jpg
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Titre Fig. 2 : Carte des unités rencontrées
Légende a : chenal actuel, b : sondages, c : alluvions (blocs), d : alluvions (limons), e : dépôts de versant (limons argileux et graviers), 1 : Tertres funéraires de la fin de l’Âge du Bronze, 2 : Bâtiment du Bronze Final IIIb, 3 : Cimetière de l’Antiquité Tardive, 6 : Mur de terrasse antique.
Crédits levé et dessin : P. Wuscher, C. Coeuret, F. Armand, C. Bioul et A. Pezin, équidistance des courbes : 1 m
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5687/img-2.jpg
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Titre Fig. 3 : Coupe schématique de la moitié nord de la vallée
Légende a : alluvions (sables et blocs), b : éboulis de la terrasse, c : dépôts de pente (limons argileux et graviers), d : paléosols, 1 : Tertres funéraires de la fin de l’Âge du Bronze, dans C1c1, projetés ici en fonction de leur position stratigraphique, 2 : Bâtiment du Bronze Final IIIb, 3 : Cimetière de l’Antiquité Tardive, dans C1c1, projeté ici en fonction de sa position stratigraphique, 4 : Murs de terrasses antiques, 5 : Murs de terrasse médiéval ou moderne, 6 : Mur de terrasse antique.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5687/img-3.jpg
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Titre Fig. 4 : Vue du chenal principal et, à gauche de la photo, de la barre de chenal héritée de l’Aiguat de 1940 (avril 2005).
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5687/img-4.jpg
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Titre Fig. 5 : Log stratigraphique du cône C1c2 et position des échantillons.
Légende a : argiles, b : sables, c : graviers, description détaillée dans le texte.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5687/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 28k
Titre Fig. 6 : Unité 2 : Sables lavés et revêtements limono-argileux.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5687/img-6.jpg
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Titre Fig. 7 : Unité 3 : Bande de revêtements argileux.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5687/img-7.jpg
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Titre Fig. 8 : Unité 4 : Revêtements argileux recouverts par des revêtements poussiéreux.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5687/img-8.jpg
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Titre Fig. 9 : Unité 6 : Papule argileuse.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5687/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 28k
Titre Fig. 10 : Unité 6 : Charbon ferruginisé.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5687/img-10.jpg
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Titre Fig. 11 : Unité 5 : Imprégnation ferrugineuse.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5687/img-11.jpg
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Titre Fig. 12 : Unité 6 : Revêtements limoneux poussiéreux.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5687/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 28k
Titre Fig. 13 : Unité 7 : Fragment de croûte de surface.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5687/img-13.jpg
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Pour citer cet article

Référence papier

Patrice Wuscher et Annie Pezin, « Morphogenèse de la vallée du Tech à Amélie‑les‑Bains (Pyrénées-Orientales) durant l’Holocène et évolution des versants jusqu’à la fin de l’Âge du Bronze »Quaternaire, vol. 21/4 | 2010, 345-356.

Référence électronique

Patrice Wuscher et Annie Pezin, « Morphogenèse de la vallée du Tech à Amélie‑les‑Bains (Pyrénées-Orientales) durant l’Holocène et évolution des versants jusqu’à la fin de l’Âge du Bronze »Quaternaire [En ligne], vol. 21/4 | 2010, mis en ligne le 01 décembre 2013, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/quaternaire/5687 ; DOI : https://doi.org/10.4000/quaternaire.5687

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Auteurs

Patrice Wuscher

Inrap, 31 rue Delizy, 93698 Pantin Cedex et UMR 8591, Équipe « Environnements Quaternaires ». Courriel : patrice.wuscher@inrap.fr

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Annie Pezin

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