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Paléo-environnements littoraux depuis 8000 ans sur la bordure occidentale du Golfe du Lion. Le lido de l’Etang de Thau (carottage SETIF, Sète, Hérault)

Coastal palaeoenvironments during the last 8000 years on the Lion Gulf western side: the sand bar of the Thau coastal lagoon (SETIF coring, Sète, Hérault)
Mona Court‑Picon, Claude Vella, Lucie Chabal and Hélène Bruneton
p. 43-60

Abstracts

The present active lagoon system of the Thau lagoon has begun shortly after 7050 BP (5580-5255 cal BC). However, the setting up of the coastal system coupling sand bar and coastal lagoon took place probably before. This system belongs to a morphosystem dominated by the waves within a sedimentary context poor in sedimentary sources. The present erosion of this littoral echoes back to an ancient dynamics showing a backing of the sand bar joining the Mount Saint-Clair to the Pioch (Agde volcano) shortly after 6500 BP (5068-4660 cal BC). The pollen analysis of sequence SETIF reports this dynamic instability and allows us to outline the coastal vegetation evolution. The pollen sequence shows both the global warming and the palaeoecological and palaeogeographical changes that are characteristic of this coastal area. The local thermophilous feature of the life conditions linked to the Mount Saint-Clair, the perception of the offshore bar arrival, the fluctuations of the unsteady environments (sand bar, lagoon banks) and the different stages of human activities recorded since the ancient Neolithic are the main contributions of the SETIF palynological results. The observations related to the local relative sea level are consistent with the regional data, but show some peculiarities such as the perched characteristic of the salt water table forming the Thau coastal palaeo-lagoon until 6540 ± 40 BP (5068-4660 BC).

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Full text

Les travaux ont été financés par l’ANR-05-BLAN- 0343-01, 2006-2007, Projet ARMILIT (Archéologie des Milieux Littoraux entre Aude et petit Rhône, depuis le Néolithique). Nous remercions Philippe Geniez (EPHE) pour ses identifications des coquillages lagunaires de La Fangade, ainsi que Serge Muller et le personnel de l’ISEM (UMR 5554) pour leur accueil dans l’équipe « Paléoenvironnements et Paléoclimats » et leur assistance au laboratoire lors des préparations palynologiques (Mona Court-Picon). Pierre Sabatier, Laurent Dezileau (Géosciences Montpellier) et Edouard Bard (Collège de France) sont remerciés pour les nombreux échanges concernant la calibration des dates radiocarbone, et Frédéric Leroy pour la mise à disposition des résultats du site de la Fangade. Tous nos remerciements à Philippe Dussouillez et Thomas Jules Fleury (CEREGE) pour leur aide concernant le positionnement du sondage et le traitement des données de la BSS pour la réalisation de la figure 3. Remerciements également à Guillaume Lopez du CETE Méditerranée pour la réalisation du carottage et le directeur de la station IFREMER Sète pour l’accès au site. Tous nos remerciements enfin à Philippe Blanche‑manche pour la coordination du programme ARMILIT et en particulier pour les carottages réalisés avec l’assistance de Gaël Piquès.

1 - Introduction

1Cette étude d’une carotte prélevée sur le lido au pied du versant ouest du Mont Saint-Clair (fig. 1) à Sète (Hérault), financée dans le cadre du programme ARMILIT [Programme de l’ANR « Archéologie des Milieux littoraux entre Aude et Petit Rhône durant l’Holocène » (ANR-05-BLAN-0343-01, 2006-2007), coord. P. Blanchemanche (UMR 5140)], a pour objectif l’analyse paléoécologique et paléogéographique d’un secteur peu étudié du littoral languedocien. Le positionnement du sondage a permis l’obtention d’une séquence sédimentaire de près de 6 m. Le substrat pléistocène a été atteint à la base. La présence locale d’un pointement rocheux émergé (Mont St-Clair) est particulièrement originale car elle a permis la perception cumulée de milieux littoraux stables jouxtant des milieux instables (lido, lagune, plaine alluviale), dans un contexte écologique globalement très diversifié et en constante évolution durant l’Holocène. L’étude s’appuie sur l’analyse des matériaux sédimentaires, leur analyse palynologique, et une chronologie radiocarbone composée de sept dates. En complément, sont pris en compte des identifications ostracologiques, des données anthracologiques issues de sites archéologiques proches et des relevés stratigraphiques de la banque du sous-sol du BRGM. À travers l’histoire de la ligne de rivage, de la formation de la lagune et de l’évolution des paysages holocènes littoraux, ce travail retrace la dynamique globale d’un écosystème côtier original, en constante évolution. Il s’agit d’une première synthèse de l’évolution de la lagune de Thau durant l’Holocène, dans le prolongement des premiers travaux engagés sur le secteur par Planchais (1973), sous forme de six carottages dans le secteur des Salines de Villeroy (Sète). Dans ce cadre, le sondage 1F situé à 100 m environ du sondage SETIF avait dépassé 20 m et fait l’objet d’analyses polliniques sommaires, très lacunaires dans les niveaux continentaux mais intéressants pour les niveaux lagunaires.

Fig. 1 : Carte de localisation de la séquence étudiée (SETIF) et d’autres sites cités dans ce travail.

Fig. 1 : Carte de localisation de la séquence étudiée (SETIF) et d’autres sites cités dans ce travail.

2 - Contexte géographique et écologique

2Le littoral du Languedoc Roussillon depuis le Grau du Roi jusqu’à Collioure forme une plaine littorale basse constituée de lagunes appelées localement étangs et de petits deltas associés aux fleuves côtiers (Tech, Têt, Agly, Aude, Orb, Hérault, Lez, Vidourle). Un lido accroché à des pointements rocheux (Mont Saint-Clair à Sète, volcan d’Agde, cap Leucate) isole un chapelet de lagunes, connexes pour certaines puis individualisées suite à leur comblement partiel. Elles sont pour la plupart peu profondes et de petite dimension. Une grande diversité de paysages et de milieux juxtaposés varie selon la salinité, le pH et l’oxygénation eux-mêmes fonction de la proximité des graus, des émissaires alluviaux ou karstiques, de la saison et des aménagements hydrauliques (canaux, graus aménagés, etc). Globalement, ces lagunes sont eurythermes et euryhalines. Les faciès et la puissance de colmatage sont eux aussi variables en fonction des conditions naturelles locales et des conditions géologiques initiales (position du substrat). Les massifs et points rocheux calcaires ou basaltiques introduisent une diversité de substrats dans un milieu meuble où des cordons dunaires sableux isolent les lagunes au sédiment fin voire très fin.

3L’étang de Thau se distingue par sa plus grande superficie (75 km2) et sa plus grande profondeur. La profondeur moyenne est de 4,5 m et des profondeurs maximales d’environ 10 m sont fréquentes. Seul le gouffre de la Bise, situé à l’est de l’étang près de Balaruc, résurgence d’eau presque douce à 21 °C, atteint environ 30 m. La salinité moyenne actuelle est proche de la salinité de la mer et varie selon la saison entre 30 g/l et plus de 39 g/l en saison estivale (données Syndicat Mixte du Bassin de Thau). Les graus sont aujourd’hui totalement artificialisés et la largeur du cordon ainsi que son aménagement empêchent l’intrusion directe d’eau par des graus temporaires. Trois points de communication avec la mer sont en permanence ouverts. Ce sont : le canal de Sète, traversant la ville à l’est du Mont Saint-Clair, le canal des Quilles à l’ouest du Mont Saint-Clair et, à proximité du carottage étudié ici, le grau de Marseillan à l’extrémité sud de la lagune. Le cordon littoral qui isole la lagune de Thau est accroché, au nord-est, au Mont Saint-Clair (alt. 175 m), pointement de calcaire jurassique, et, au sud-ouest, aux coulées basaltiques du volcan d’Agde. Ce cordon repose sur les dépôts graveleux quaternaires reconnus par les sondages géotechniques disponibles à la Banque du Sous-Sol du BRGM (BSS). Ces mêmes dépôts affleurent sur le versant nord et ouest du Mont Saint-Clair (Carte géologique 1/50 000, 1967). Ils ont aussi été reconnus par sismique réflexion (Tessier et al., 2000 ; Certain et al., 2005) sur trois profils perpendiculaires au lido. Ces profils mettent aussi en évidence des grès de plage servant d’ancrage au prisme littoral sableux actuel ou sub‑actuel. Malheureusement, aucun élément probant de datation de ces corps sédimentaires n’a été réalisé.

4Pour les êtres vivants et en particulier la végétation terrestre, la grande diversité des milieux actuels représentés sur le lido de Sète, le Mont Saint‑Clair, la rive nord de la lagune et les massifs calcaires proches (montagne de la Moure, massif de la Gardiole), peut potentiellement accueillir des formations végétales très diversifiées, aujourd’hui largement amoindries. Le cordon littoral sableux, milieu fragile, est le domaine de formations thermophiles et xérophiles, principalement herbacées, les unes psammophiles adaptées aux sols instables, les autres inféodées à l’humidité (bas-fonds et berges) et plus ou moins halophiles. En particulier, les roselières liées aux eaux saumâtres, les sansouires adaptées aux marais temporaires sursalés, et des formations buissonnantes, arbustives ou arborées (pin pignon et pin d’Alep), composées d’espèces résistantes au sel ou à la sécheresse, peuvent s’installer sur le lido. La rive nord de la lagune présente, sur sa berge, une étroite bande de formations alluviales liées à une dizaine de petits cours d’eau, souvent asséchés en été, qui drainent les versants sud des massifs et une plaine agricole, avec le frêne oxyphylle, l’orme champêtre et, en ripisylves, plusieurs espèces de peupliers et de saules. Très rapidement, dès quelques mètres d’altitude, leur succède la chênaie méditerranéenne, riche en chêne vert, arbustes subordonnés, et localement substituée de pin d’Alep ou de chêne kermès. Les chênaies et pinèdes sont aussi la végétation dominante des hauteurs alentour (Mont Saint-Clair, collines de la Mourre, etc.). Ce rapide aperçu peut être mis en relation avec une non moins grande succession de situations écologiques au cours de l‘Holocène. En effet, le littoral a longtemps connu des conditions de vie proches de celles de l’intérieur des terres, si on en croit le fort développement de la chênaie à l’Atlantique ancien en Languedoc, qui nécessite des sols relativement drainants (voir infra). De nombreuses espèces rupicoles et xérophiles pouvaient alors croître en bordure littorale sur sols drainants, jouxtant, en mosaïque, des bas-fonds ou des vallons humides (eau douce). La montée marine a favorisé les accumulations sédimentaires génératrices de nouveaux milieux de vie, tels que des sols profonds alluviaux sur la rive nord ou des sols salés ou marécageux sur la rive sud. Le nivellement moderne du lido aux fins de l’installation de salines puis de viticulture a certainement fait disparaître des formations arbustives ou arborées. Quant aux reliefs en arrière du littoral, hormis l’érosion des sols, ils ont certainement connu longtemps des caractéristiques proches de celles du présent, convenant en particulier aux faciès les plus xérophiles de la chênaie méditerranéenne.

3 - Matériel et méthodes

5Le carottage a été réalisé à la racine nord-est du cordon dans sa partie médiane au niveau de l’enceinte de la station IFREMER de Sète. Effectué par carottier à piston stationnaire (CPS), il a permis un taux de récupération de 93 %. Le point de carottage (WGS 84 : 43°23’48,546’’ Nord ; 3°39’30,133’’ Est) est situé dans un fossé de drainage permettant de s’affranchir de la plateforme de remblai sommital sur laquelle sont construits les bâtiments. L’altitude du sommet du carottage est de 0,87 m NGF (positionnement GPS, RTK trimble). Un refus de carottage a été atteint, à 595 cm sous la surface, sur le substrat pléistocène. La carotte prélevée a fait l’objet d’une description stratigraphique fine associée à des analyses sédimentologiques, à une identification, sans comptage, de la microfaune ostracologique et à des analyses palynologiques.

6La chronologie est établie à partir de sept dates radio-carbone (tab. 1). Il s’agit de la première datation du complexe littoral du lido de Sète. Six dates ont été effectuées sur coquilles laguno-marines ou lagunaires et une date sur graine de Rupia maritima (détermination Laurent Bouby). Afin d’estimer l’âge réservoir de l’étang de Thau, deux datations sur un même niveau archéologique du Bronze final II (très bien calé entre deux autres couches du Bronze final) du site actuellement ennoyé de la Fangade (nord-ouest du Mont Saint-Clair) ont été comparées. L’une, sur graine terrestre (céréale : Ech n° 15-S5-SE-C5) donne un âge de 2935 ± 35 BP (Ly 3134) (Leroy, inédit). L’autre datation a été réalisée sur coquille lagunaire (Cerastoderma glaucum : Fan G 15-S5-SE-C5). Une analyse par diffractométrie de rayons X confirme que la coquille est composée de 100 % d’aragonite, ce qui exclut des recristallisations sous forme de calcite pouvant perturber la datation. L’âge obtenu est de 3535 ± 35 BP (Poz-25136).

7L’âge réservoir sur l’espèce Cerastoderma glaucum pour cette période serait ainsi de R(t) = 3535-2935 = 600 ± 70 années BP. Pour les périodes contemporaines (1900 cal AD), les âges réservoir à Sète sont de 592 ± 45 années BP et de 636 ± 45 années BP (GifA 96705 ; Ly 6872, Siani et al., 2000), sur les espèces Ruditapes decussatus et Acanthocardia tuberculata respectivement. Ces trois estimations à Sète, séparées par 3000 ans, donnent un âge réservoir similaire aux incertitudes près. Cette comparaison permet ainsi de supposer que les conditions environnementales de la lagune n’ont que très peu changé depuis 3000 ans, restant donc dans un environnement lagunaire relativement protégé, comme c’est le cas actuellement. Il est ainsi possible de calibrer les autres âges sur coquille lagunaire avec cet âge réservoir. D’autres études sur l’estimation des âges réservoirs en lagune languedocienne sont en cours, notamment sur les lagunes palavasiennes où l’âge réservoir a été estimé à 950 ± 75 ans (Sabatier et al., 2008).

8Les datations radiocarbone ont permis de réaliser un diagramme âge profondeur comparé à la courbe de la variation du niveau marin relatif établie à Fos sur Mer. Le site de Fos constitue la référence la plus proche et tectoniquement stable à l’Holocène (Vella et al., 2005). A l’inverse des niveaux datés dans la tourbière de Fos qui indiquent l’altitude exacte du plan d’eau, la nature lagunaire des sédiments datés à Sète implique une position de la surface du plan d’eau supérieure aux niveaux datés.

9Les échantillons palynologiques, répartis sur l’ensemble de la colonne sédimentaire, ont été prélevés tous les 5 cm dans les faciès lagunaires favorables à une bonne conservation pollinique, et tous les 10 cm dans les faciès sableux. Les 75 échantillons prélevés ont été préparés chimiquement selon les procédures standard (Berglund, 1986 ; Faegri & Iversen, 1989). Tous les échantillons ont également subi une lévigation en liqueur dense (chlorure de zinc) selon la technique élaborée par Nakagawa et al. (1998), en raison de l’importante fraction minérale des sédiments.

10L’identification pollinique a été effectuée à l’aide de la collection de référence de l’ISEM à Montpellier, de clés de détermination (e.g. Moore et al., 1991) et d’atlas photographiques (Reille, 1992, 1995, 1998). La séparation entre les graminées sauvages et cultivées (céréales) est basée sur les critères de Beug (1961) et Andersen (1978). Les palynomorphes (e.g. micro-charbons, champignons, algues) ont été comptés au cours de l’analyse pollinique. La nomenclature des taxons identifiés suit l’Index Synonymique de la Flore de France (Kerguélen, 1993). Un minimum de 400 grains de pollen de plantes terrestres a été compté (aquatiques, hygro- et hydro- philes, spores et microfossiles non polliniques exclus). Ce nombre a été porté à plus de 1000 lorsqu’un taxon dominait largement.

11Sur les 75 échantillons effectués, seuls 71 composent la séquence pollinique présentée, les niveaux compris entre 40 et 10 cm s’étant révélés stériles. Les effectifs sont exprimés en pourcentage de la somme pollinique totale, de laquelle ont été exclus les taxons hydrophiles, hygrophiles et aquatiques, les spores de Ptéridophytes (Berglund & Ralska-Jasiewiczowa, 1986), les Cyperaceae et l’ensemble des microfossiles non polliniques déterminés. Les logiciels GpalWin (Goeury, 1997) et Corel Draw 6.0 ont permis d’automatiser la saisie des données, de calculer les pourcentages et de tracer le diagramme.

12La méthode volumétrique (Cour, 1974) a été appliquée pour le calcul des concentrations polliniques absolues, exprimées en unité de poids (g). Les concentrations totales (PA+PNA), comprises entre 40 et 103181 grains par gramme de sédiment, témoignent d’écarts très importants qui apparaissent liés pour l’essentiel à la lithostratigraphie. L’unité inférieure, composée de sédiments fins, de 595 à 440 cm de profondeur, connaît les plus fortes concentrations (en moyenne 25 167 grains/g). Les faciès sableux du sommet de la séquence enregistrent une nette diminution des concentrations qui chutent à moins de 10 000 grains de pollen par gramme de sédiment (1 312 grains/g en moyenne).

Tab. 1: Datations radiocarbone AMS sur coquilles et graine de la séquence SETIF (Sète, Hérault) : dates 14C (années BP) et intervalles calendaires (années calibrées BC/AD 2σ avec effet réservoir).

Tab. 1: Datations radiocarbone AMS sur coquilles et graine de la séquence SETIF (Sète, Hérault) : dates 14C (années BP) et intervalles calendaires (années calibrées BC/AD 2σ avec effet réservoir).

4 - Stratigraphie, chronologie et géométrie des corps sédimentaires

13Le complexe littoral carotté sur le lido de Sète se divise en deux unités distinctes et repose sur un niveau de cailloutis et granules sub-arrondies dans une matrice silto-sableuse interprétée comme substrat pléistocène (fig. 2). À la base, de 590 à 440 cm sous la surface, la première unité est à dominante limoneuse. Riche en coquilles entières, parfois à valves jointes pour les pélécypodes, l’unité est entrecoupée par de brèves lamines ou lits sableux reposant sur des surfaces de ravinement érodant les argiles sous‑jacentes. Les rares lamines dans les faciès limoneux, lorsqu’elles sont conservées ou visibles, sont sub-horizontales et sub‑parallèles. Des traces de bioturbations sous la forme de terriers sont parfois nettement visibles et pourraient expliquer la rareté des structures sédimentaires. Le dépôt argilo-limoneux est dans l’ensemble plutôt massif. Le macrobenthos est largement dominé par les Cerastoderma lamarckii parfois valves jointes, sauf à la base entre 390 et 380 cm sous la surface où le dépôt est formé par un amas d’Hydrobia ventrosa. L’ostracofaune permet de caractériser deux types de milieu. A la base (590-592 cm) l’assemblage très abondant est dominé à 75-80 % par Cyprideis torosa, associé à Heterocypris salina, Eucypris mareotica, Sarscypri-dopsis aculeata et Ilyocypris sp. biplicata ou bradyi. On remarque Ammonia beccarii pour les foraminifères. Ces espèces caractérisent un milieu saumâtre oligohalin à mésohalin : mis à part C. torosa très euryhalin, elles sont observées à des salinités maximales de l’ordre de 20 ‰ et à des salinités optimales de 5 à 10 ‰ (Meisch, 2000 ; Mischke, 2005). Cet assemblage peut caractériser une lagune largement alimentée par des fleuves côtiers mais existe aussi régionalement dans des plans d’eau continentaux saumâtres (étang de Montady, Bruneton, études en cours). Le sommet du dépôt (442-444 cm) montre une évolution importante du cortège ostracologique. Dominé par Heterocythereis albomaculata, le cortège comprend Xestoleberis aurantia, Loxoconcha rhomboidea, Lepto- cythere sp. et Cyprideis torosa mais en faible quantité. L’assemblage est cette fois dominé par des espèces littorales marines ubiquistes (Lachenal, 1989) indiquant une salinité moins fluctuante et qui ne peut être inférieure à 30 ‰. Etant donné le contexte sédimento‑stratigraphique, on peut se demander si ces ostracodes n’ont pas été remaniés, lors de tempêtes par exemple, de sédiments marins situés à l’extérieur de la lagune.

14La seconde unité est à dominante sableuse, de 440 cm de puissance. Elle se présente sous la forme d’un corps sédimentaire massif avec de rares lamines sub-horizontales et sub-parallèles localisées surtout dans la partie médiane du dépôt. De nombreuses coquilles marines, laguno-marines ou franchement lagunaires eurythermes et euryhalines sont observées sous forme fragmentée ou entière avec valves jointes notamment pour les Cerasto- derma lamarckii. Globalement, le cortège faunistique est dominé par Cerastoderma lamarcki avec présence de gastéropodes (Cerithium vulgatum et Hydrobia ventrosa). Entre 340 et 390 cm, on observe une plus grande concentration de milioles d’espèces indéterminées. Entre 150 et 270 cm, des restes de radicelles subverticales sont conservés. Le dépôt est massif, plus grossier à la base qu’entre 300 cm et 60 cm où le grain moyen présente une plus forte variabilité verticale le long de la stratigraphie, mais globalement le sable est fin (compris entre 250 et 150 μm). On note une passée très fine (<100 μm) vers 80 cm sous la surface.

15Les données carottées de la banque du sous-sol du BRGM comprennent 11 forages avec relevé stratigraphique permettant d’ébaucher une restitution sommaire du toit du substratum Pléistocène. La figure 3 rend compte de la morphologie du toit de la formation Pléistocène. Cette restitution trois D est effectuée à partir d’une intégration des données sédimentaires dans une base SIG (logiciel ArcGIS 9.2 © et son extension 3D Analyst). Un isthme reliant le Mont Saint-Clair au volcan d’Agde sépare la mer d’une gouttière parallèle à l’isthme. Les profondeurs de 10 ou 11 m observées encore actuellement dans la lagune de Thau confirmeraient cette hypothèse. La profondeur de la gouttière est pour l’instant inconnue mais il faut probablement additionner à la bathymétrie actuelle une épaisseur de dépôts holocènes colmatant le fond de l’étang de Thau.

16La chronologie radiocarbone (tab. 1 & fig. 2) indique la présence de dépôts lagunaires à la base entre 7050 ± 50 BP (5863-5543 BC) et 6540 ± 40 BP (5068-4660 BC) et une mise en place du cordon sableux de 6540 ± 40 BP environ 2025 ± 35 BP (403-720 AD). Cinq des sept dates sont en parfaite cohérence chronologique et deux rompent cette cohérence. Considérer ces deux dates (GdA-1047 et GdA-1127) comme erronées pour des raisons géochimiques ou d’erreur d’échantillonnage ne serait pas compatible avec le sérieux des laboratoires de datation radiocarbone (Radiocarbon Laboratory Institute of Physics ; Poznan Radiocarbon laboratory), ni avec la démarche rigoureuse d’échantillonnage depuis le prélèvement de la carotte jusqu’à son ouverture et analyse. Le recoupement des résultats entre eux et les structures sédimentaires associées permettent au contraire de confirmer certains phénomènes sédimentaires observés dans la lithostratigraphie. En effet, les deux dates qui inversent la chronologie des dépôts succèdent à des surfaces de ravinement nettement inscrites dans les limons (fig. 2). Les coquilles datées ont été prélevées dans un lit sableux et, bien que parfois valves jointes, ces coquilles ont été probablement remaniées par un événement de tempête érodant les limons et argiles cohésives et déposant un lit de matériaux sableux et de coquilles provenant d’un précédent dépôt situé vers le littoral marin. Ces phénomènes d’ouverture du cordon par une tempête, de submersion marine et de formation de dépôts de tempête sont connus sur de nombreux littoraux meubles dunaires (Leatherman & Zaremba, 1987 ; Cloutier & Héquette, 1998 ; Clabaut et al., 2000). Ils sont actuellement à l’étude pour la période historique sur les littoraux du Languedoc (Sabatier et al., 2008) et sont connus pour l’actuel sur d’autres sites littoraux du Golfe du Lion (Hanot, 2005) ou à l’Holocène dans le Golfe de Fos (Vella, 1999).

Fig. 2 : Stratigraphie de la séquence SETIF du lido de Sète à Agde (Hérault).

Fig. 2 : Stratigraphie de la séquence SETIF du lido de Sète à Agde (Hérault).

Fig. 3 : Reconstitution 3D et bathymétrie du Lido de Sète à partir des sondages BRGM et de la carte IFREMER (Berné et al., 2002 ). Un isthme dont le sommet est situé à environ –3 m NGF se dessine nettement séparant la mer de l’étang.

Fig. 3 : Reconstitution 3D et bathymétrie du Lido de Sète à partir des sondages BRGM et de la carte IFREMER (Berné et al., 2002 ). Un isthme dont le sommet est situé à environ –3 m NGF se dessine nettement séparant la mer de l’étang.

5 - Interprétation géomorphologique de l’évolution du lido de Sète

17La première unité du carottage SETIF est interprétée comme un dépôt lagunaire immergé dans un contexte très fortement isolé de la mer par un cordon littoral sableux ou un isthme sédimentaire pléistocène. Cette lagune présente un caractère plus confiné à sa base et très fortement influencé par les apports d’eau douce. Cette nuance est surtout perceptible à partir des données ostracologiques. Cependant le cordon littoral sableux n’est probablement pas trop éloigné puisque les plus fortes tempêtes permettent le ravinement des dépôts lagunaires (argilo-limoneux) et l’apport de faunes et de sables remaniés depuis le cordon littoral. L’unité sableuse suivante rend compte d’un changement radical de milieu. D’une situation lagunaire protégée par un cordon encore assez éloigné, le milieu se transforme en un cordon littoral faiblement immergé ou émergé dans un contexte toujours lagunaire ou laguno-marin mais très fortement influencé par les apports littoraux marins. Le milieu de sédimentation s’est transformé en face interne d’un cordon littoral protégeant une lagune dont la rive sud s’est translatée vers le continent.

18Le carottage SETIF met donc clairement en évidence une récession du trait de côte postérieure à 6540 ± 40 BP (5068-4660 cal BC) (GdA-1126) dans un contexte de faible apport sédimentaire sur un littoral dominé par l’action des vagues. Le prisme sableux, mobile, remonte comme sur un tapis roulant lors de l’élévation du niveau marin. Le modèle est largement décrit sur de nombreuses côtes dans le monde (Roy et al., 1994). Il est contrôlé par quatre facteurs déterminants : la pente du substrat, l’énergie des vagues, les apports sédimentaires et la variation du niveau marin. Au moins trois de ces facteurs sont plus ou moins connus sur ce littoral et sont favorables au recul. Le substrat quaternaire ou les grès servent de soubassement au prisme sableux libre (Certain et al., 2005), la pente du toit de ces formations, côté externe du lido (entre 0 et 400 m du rivage), est de 1,6 à 1,75 % alors que sous le lido la pente du substrat, calculée à partir du carottage SETIF et des données de la BSS, est comprise entre 0 et 0,9 %. L’affaiblissement de la pente du substrat au niveau du lido favorise donc probablement l’accélération du recul du rivage. Les apports sédimentaires directs sont, quant à eux, faibles sur cette partie du littoral, et proviennent quasi uniquement de stocks fossiles. En effet, les fleuves côtiers en amont de la dérive littorale dominante (Lez, Vidourle) se jettent dans des lagunes et les dépôts n’atteignent probablement plus la mer depuis la création de ces lagunes. Une alimentation directe par la dérive littorale depuis le delta du Rhône est peu réaliste compte tenu du mode de développement de la plaine deltaïque basé sur un stockage des sédiments dans des lobes fossiles faiblement remaniés après avulsion des chenaux distributaires (Vella et al., 2005 ; Maillet et al., 2006). Quant aux stocks sédimentaires plus anciens, ils sont « fossilisés » sur la plateforme continentale interne par une élévation rapide du niveau marin (Jouet et al., 2006 ; Berné et al., 2007). De plus, la dérive littorale dominante observée actuellement ne permet pas une alimentation sédimentaire depuis le delta du Rhône (Durand, 1999 ; Samat, 2007 ; Certain et al., 2005). Le stock sédimentaire disponible sur ce littoral est donc probablement de plus en plus faible au cours de l’Holocène. Cependant, il ne faut pas négliger une alimentation sédimentaire à partir de l’érosion du substrat quaternaire et des grès de plage. Enfin, la variation du niveau marin relatif a été établie à l’est du Golfe du Lion (Vella & Provansal, 2000) et montre depuis au moins 6300 BP ± 50 (5460-5076 BC) une vitesse moyenne relativement faible d’élévation d’environ 1,3 mm par an. Cependant, l’élévation n’est pas continue mais constituée de deux phases d’accélération de l’élévation proche de 2 mm/an BP (Vella, 1999) et le recul du lido perçu à SETIF intervient probablement durant la première phase d’accélération entre 6300 BP ± 50 (5460-5076 BC) et 4585 BP ± 45 (3488-3112 BC).

6- Etude palynologique du carottage SETIF et paléoécologie : biozonation et attribution chronologique

19Le diagramme des fréquences relatives (fig. 4) met en évidence 5 zones polliniques principales.

20La première zone pollinique Th1 (595-580 cm) est caractérisée par des fréquences de PNA relativement importantes (65-86 %) et des concentrations absolues deux à trois fois supérieures à celles des arbres. Les herbacées sont très diversifiées avec le maximum de taxons. Ces assemblages suggèrent la présence locale d’une végétation ouverte dans laquelle Poaceae, Asteraceae et Cyperaceae sont dominantes associées à des herbacées steppiques et héliophiles (Artemisia, Ephedra, Chenopodiaceae, Plantago, Fabaceae, Thalictrum). L’originalité de cette zone tient aux taux élevés de Phillyrea et à la bonne représentation de Quercus type ilex et des Cupressaceae. Des groupements arbustifs pionniers riches en filaire (probablement Phillyrea angustifolia), espèce héliophile caractéristique de milieux ouverts et thermophiles méditerranéens, devaient alors coloniser, avec les pelouses, les sols secs et chauds des environs du point de sondage, sur les versants bien exposés au sud du Mont Saint-Clair et/ou sur le cordon littoral. De tels assemblages avaient déjà été identifiés par Planchais (1973) pour des niveaux équivalents. L’auteur avait attribué cette phase à la fin du Préboréal, en raison des paysages encore très ouverts qui la caractérisent et de sa position biostratigraphique au-dessus d’assemblages caractéristiques d’un paysage steppique totalement déboisé associé au Dryas récent. Cependant, la courbe du Quercus type caducifolié en plein essor (jusqu’à 16 %), la courbe continue de Quercus ilex, ainsi que la présence de Pistacia terebinthus et de nombreux taxons médio-européens (Ulmus, Tilia, Acer, Fraxinus), nous incitent plutôt à associer cette première zone pollinique au début de l’Atlantique ancien. En effet, par comparaison avec les informations régionales (Jalut, 1977, 1995 ; Triat- Laval, 1975, 1978, 1982 ; Beug, 1982 ; Planchais, 1982, 1985, 1987 ; Parra Vergara, 1988 ; Perez-Obiol, 1988 ; Riera i Mora, 1990, 1993 ; Riera-Mora et Esteban-Amat, 1994 ; Puertas 1998a, 1998b), Ulmus, Tilia, Acer et Fraxinus ne sont enregistrés en continu qu’à partir du Boréal pour se développer au cours de l’Atlantique. De même, Quercus ilex reste très discret jusqu’à l’Atlantique où il apparaît en courbe continue dans de nombreux sites (Triat-Laval, 1978, 1982 ; Riera i Mora, 1990). Dans la majorité des sites de plaines côtières, Pistacia et Phillyrea apparaissent ou se développent à l’Atlantique ancien (Triat-Laval, 1975, 1978, 1982 ; Beug, 1982 ; Planchais, 1985 ; Puertas, 1998a, 1998b). Enfin, l’extension des chênaies reconnue sur l’ensemble des côtes du sud de la France et de l’Espagne est datée du début de l’Atlantique (Jalut, 1977 ; Triat-Laval, 1978, 1982 ; Beug, 1982 ; Planchais, 1982, 1985 ; Parra Vergara, 1988 ; Perez-Obiol, 1988 ; Riera i Mora, 1990, 1993 ; Puertas, 1998a, 1998b). Le développement du chêne (probablement Q. pubescens) enregistré à SETIF témoigne de l’installation de chênaies mixtes dans les secteurs les plus frais sur des sols à meilleure rétention en eau, non salés, sur le versant nord du Mont Saint‑Clair ainsi que dans la plaine alluviale au nord de la lagune. Cette attribution à l’Atlantique ancien est en accord avec les dates 7370 ± 40 BP (5863-5543 cal BC) et 7050 ± 50 BP (5580‑5255 cal BC) obtenues en milieu de zone et valide donc notre chronologie (cf. § 3).

21La zone Th2 (575-440 cm) se marque par une hausse des taux de PA qui oscillent autour de 50 %. Les concentrations polliniques atteignent ici leur maximum, en particulier celles du pollen arboréen qui augmentent fortement pour rejoindre les valeurs du pollen herbacé montrant que cette zone correspond à une dynamique de développement forestier. Quercus type caducifolié et Corylus, associés à une meilleure représentation des taxons médio‑européens Fraxinus, Ulmus, Tilia et Acer connaissent leurs fréquences maximales caractérisant la sous-zone Th 2a (575-515 cm). Hedera, Vitis et Salix apparaissent pour la première fois et des occurrences d’Abies et Fagus sont régulièrement notées. Phillyrea, bien que régulièrement présent, a fortement diminué, alors que Quercus ilex, Juniperus/Cupressus et les Ericaceae, puis Pistacia terebinthus et Pinus type sylvestris commencent à se développer. Une diversification du spectre des taxons d’ambiance méditerranéenne est également observée avec l’apparition d’Olea, Buxus, Arbutus et Pistacia lentiscus. Ces enregistrements polliniques complexes et très diversifiés, en apparence contradictoires, reflètent la coexistence de plusieurs formations végétales locales en mosaïque, ainsi que des peuplements forestiers plus ou moins éloignés de l’étang. La zone Th2 signale ainsi le développement régional des chênaies mixtes qui atteignent leur optimum et se diversifient à l’Atlantique moyen (Beaulieu, 1969, 1974 ; Triat-Laval, 1978, 1982 ; Planchais, 1985, 1987 ; Parra Vergara, 1988 ; Perez-Obiol, 1988 ; Riera i Mora, 1990, 1993 ; Puertas, 1998a, 1998b ; Pulido, 2006). Noisetiers, ormes, tilleuls, frênes et érables accompagnent les chênaies caducifoliées méso-thermophiles sur les substrats calcaires frais et/ou humides de la plaine alluviale capables de compenser les déficits hydriques du climat méditerranéen. Plus héliophile, Corylus devait préférentiellement se rencontrer en lisières forestières ou dans les stations les plus claires. Cette essence pouvait également se développer avec Alnus, Salix, Fraxinus et Vitis au sein des formations des bords des eaux. Les notations d’Abies peuvent refléter des peuplements des étages supra- et oro‑méditerranéens à l’intérieur des terres et témoignent dans ce cas du développement des sapinières en montagne (Pyrénées orientales, Alpilles, Alpes du Sud) au cours de l’Atlantique en accord avec la chronologie régionale de ce taxon (Jalut, 1977, 1995 ; Triat-Laval, 1978, 1982 ; Planchais, 1985, 1987 ; Perez-Obiol, 1988 ; Puertas, 1998a, 1998b). Cependant, l’anthracologie mentionne des présences d’Abies à basse altitude dès 550 av. J.-C. au Marduel (Gard) puis dans presque tous les sites à la période antique, pour lesquels on a invoqué la possibilité d’une origine régionale, voire locale comme pour le hêtre (Chabal, 1997). La présence de Fagus dès le début de la zone Th2 peut paraître précoce, ce taxon n’étant perçu régionalement avec une certaine abondance qu’au Subboréal (Beaulieu, 1969, 1974, 1977 ; Jalut, 1977 ; Perez-Obiol, 1988 ; Riera i Mora, 1990, 1993 ; Puertas, 1998a, 1998b ; Pulido, 2006). Ces observations à SETIF ne relèvent cependant pas d’un fait isolé et plusieurs sites présentent des occurrences de Fagus parfois non négligeables bien avant son extension subboréale. Ainsi, ce taxon est régulièrement noté tout au long de l’Atlantique dans les sites côtiers de Marsillargues, Palavas (Planchais, 1982, 1987), Capestang (Jalut, 1995) et Embouchac (Puertas, 1998a, 1998b) dans la plaine littorale languedocienne, mais aussi sur les côtes provençales (Triat-Laval, 1978, 1982). Avec des occurrences dès le Préboréal, Triat-Laval (1978, 1982) suggère l’existence de refuges glaciaires de Fagus dans les zones planitiaire les plus au sud du delta du Rhône. En accord avec ce modèle, Delhon & Thiébault (2005) proposent un schéma de migration précoce vers le nord du delta à partir de ces refuges dès le Préboréal puis le long du corridor rhodanien à l’Atlantique. La présence de Fagus dès l’Atlantique ancien à SETIF pourrait correspondre à de tels refuges, antérieurement à son extension rhodanienne. Le hêtre est régulièrement présent, bien que peu abondant, à basse altitude en Languedoc dans les études anthracologiques, notamment au Néolithique final, dans l’Antiquité et au Moyen Âge dans la vallée de l’Hérault (Durand, 1998 ; Fabre, 2004, 2005 ; Pomarèdes et al., 2005), au Bronze final en bordure lagunaire de l’étang de l’Or (Chabal, 1997), à l’Âge du Fer, à la période romaine et au Moyen Âge dans l’Aude (Chabal, 1997, 2001 ; Durand, 1998 ; Durand & Vernet, 1987). Cette récurrence permet de supposer sa perduration tardive en peuplements relictuels de basse altitude, au sein d’autres couverts forestiers (Durand, 1998 ; Chabal, 1997). Sa perception à SETIF pourrait aussi être locale. Quezel & Médail (2003) admettent d’ailleurs que la maturation des forêts méditerranéennes s’accompagne d’une évolution des cortèges floristiques vers des ensembles biogéographiques dominés par les espèces médio-européennnes ou eurasiatiques.

22A proximité du point de sondage, les stations rocheuses et les sols les plus secs devaient accueillir les espèces arbustives héliophiles et xérophiles préforestières (Juniperus/Cupressus, Olea et Pistacia, mais aussi encore Phillyrea), accompagnées éventuellement de bosquets de chênes verts. Arbutus unedo, qui recherche des sols siliceux ou pauvres en calcaire actif, a sa place sur les sols des calcaires jurassiques du Mont Saint-Clair, dans des strates arbustives denses ou au sein d’une chênaie clairiérée (mixte ou de chêne vert). Les Ericaceae peuvent se rapporter à des bruyères soit calcicoles (E. multiflora), soit calcifuges non-strictes (E. scoparia), se développant dans les mêmes milieux que l’arbousier. Même Erica arborea, calcifuge, a pu être associée à Arbutus unedo sur des sols lessivés. Cet essor du PA se fait aux dépens des formations herbacées à Poaceae, Asteraceae et Cyperaceae localement dominantes qui présentent des fréquences en diminution. Ce recul ne s’accompagne toutefois pas d’une baisse de la diversité des spectres herbacés et le milieu reste localement relativement ouvert. La brutale élévation des Chenopodiaceae, associée à l’apparition des halophiles Armeria et Limonium, témoigne en effet du développement local de végétations de sansouïres sur les berges de marais saumâtres saisonniers où s’accumulent des vases sursalées. La disparition des plantes aquatiques ou hydrophiles (Potamogeton, Sparganium, Typha, Parnassia palustris) et des algues d’eau douce (Zygnema sp., Spirogyra sp., Botryococcus) observée de manière conjointe, confirme le développement d’un environnement lagunaire sous fortes influences marines. Si l’on considère le développement soudain des Chenopodiaceae et la chute brutale de Phillyrea et des Asteraceae au passage des zones polliniques Th1 à Th2, la présence d’un hiatus sédimentaire affectant une partie de l’Atlantique ancien peut être envisagée. A cet évènement pollinique correspond une surface de ravinement entaillant les limons lagunaires (520 cm) (fig. 2).

23La sous-zone Th 2b (515-440 cm), se caractérise par un léger recul des chênaies mixtes à caractère mésophile au profit de pinèdes et de formations arbustives. La courbe de Pinus type sylvestris, pour tout le diagramme, peut se référer à plusieurs espèces de pins, successivement ou simultanément (seul P. cembra étant exclu). En Languedoc, l’anthracologie identifie, en fréquences faibles mais régulièrement : Pinus halepensis (indigène en Languedoc), P. mugo/nigra/sylvestris/uncinata, P. pinea et P. pinea/pinaster (Chabal, 1997, 2007 ; Durand, 1998 ; Figueiral, 1990a, 1990b, inédit ; Fabre, 2005 ; Pomarèdes et al., 2005). À Sète, le pin d’Alep est présent au Bronze final (Chabal et al., inédit). À Loupian, P. mugo/nigra/sylvestris/uncinata est identifié du Ier au VIe s. ap. J.-C. : c’est probablement le pin noir de Salzmann (dont l’aire actuelle fragmentée et relictuelle ne peut pas rendre compte de son extension passée), plus probable (dès le Néolithique) sur substrat calcaire à basse et moyenne altitude que le pin sylvestre. Dans les formations arbustives, dominent Pistacia terebinthus avec Quercus ilex type et Juniperus/Cupressus. Parallèlement, le cortège des herbacées se diversifie avec l’apparition et/ou le développement de nombreuses héliophiles à déterminisme anthropique (Plantago lanceolata type, Urtica type, Vicia type, Salvia type, Potentilla type, Ranunculaceae, Asteroideae, Caryophyllaceae, Brassicaceae, Scrophulariaceae). Ces assemblages polliniques pourraient être interprétés comme une ouverture du milieu, peut-être des indices précoces d’emprise de l’homme sur le couvert végétal à la fin de l’Atlantique ancien, c’est-à-dire dès le Néolithique ancien.

24A partir de Th 3 (440-180 cm), les fréquences et les concentrations du pollen herbacé redeviennent supérieures à celles du pollen arboréen, ce qui peut refléter la poursuite d’une dynamique d’ouverture des peuplements forestiers côtiers entamée dans la zone précédente, mais aussi des changements paléogéographiques locaux, puisque désormais le cordon littoral est présent au point du sondage (cf. § 3 et 4). Les éléments de la chênaie mixte régressent fortement (Quercus type caducifolié, Corylus, Ulmus, Tilia, Acer, Fraxinus, Vitis) ou disparaissent (Rosaceae, Hedera), indiquant une réduction et un appauvrissement des forêts caducifoliées au profit de formations plus ouvertes, comme les landes à genêt (Genista type) ou à genévriers (Juniperus/Cupressus) ou encore des pelouses sèches à Asteraceae et Poaceae dominantes. Cette zone est marquée par un effondrement des valeurs des Chenopodiaceae et autres halophiles (Armeria, Limonium) qui pourrait être mis en relation avec le recul et/ou l’éloignement des zones à sansouïres. Ces niveaux correspondent à une période de montée marine rapide (Vella & Provansal, 2000) qui favorise le recul du cordon. Les berges de la lagune, dévolues aux formations halophiles, ont pu alors être submergées ou colmatées. On ne verra le retour de forts taux de Cheno- podiaceae que dans la zone Th4, mais cette fois peut être en relation avec une plus grande stabilité littorale. Les substrats sableux qui découlent de l’arrivée du cordon deviennent favorables au développement d’une végétation dunaire à Poaceae, Asteraceae, Tamarix et Ephedra. L’élévation des taux de Juniperus/Cupressus, taxon à faible capacité de production et dispersion pollinique, signale très probablement des groupements pionniers sous forme de brousses ou de matorrals arborescents de genévriers de Phénicie (Juniperus phoenicea), peut-être associés à Tamarix et Phillyrea angustifolia sur le cordon. En effet, Juniperus phoenicea est formellement identifié et abondant, sous forme de macrorestes (feuilles et fruit) au Bronze final, dans le site archéologique de la Fangade, sur la rive nord-est du Mont Saint- Clair (Bouby et al., 1999).

25Trois sous-zones locales peuvent être reconnues au sein de la zone pollinique Th3. La première (Th3a, 440- 290 cm) montre un recul progressif de la chênaie mixte, effet, soit de la mise en place de pratiques agro‑pastorales plus intenses et diversifiées, soit de la submersion de zones alluviales en rive nord de la lagune. Un important cortège d’herbacées en relation avec une fréquentation locale des troupeaux (Plantago media/major, Centaurea nigra, Serratula type, Cerastium type, Genista type, Urtica type, Rumex, Lotus type, spores trilètes, spores de champignons coprophiles) suggèrent le développement de pâtures sur le Mont Saint-Clair, voire sur le cordon même. La mise en culture de terres est soulignée par l’apparition des Cerealia et d’une messicole associée Polygonum aviculare. L’importance des particules carbonisées, accompagnée des champignons coprophiles Gelasinospora sp. et Neurospora, observées de manière concomitante, évoque un emploi du feu répété pour ouvrir puis entretenir les espaces cultivés, soit par essartage, soit par écobuage, sans pouvoir exclure des pratiques pastorales. Le développement de pionnières héliophiles (Alnus glutinosa/incana) sur les sols à bonnes réserves en eau douce est remarquable dans cette sous-zone. Alors que Tilia, Fraxinus et Ulmus diminuent, on ne peut donc pas associer Alnus aux forêts alluviales. Il faut plutôt invoquer l’apparition de conditions ripicoles nouvelles près du point de sondage, soit liées au Mont Saint-Clair (résurgences), soit plus à l’aval sous forme de marais d’eau douce. Le développement de groupements à Alnus est attesté dans les plaines littorales de Montpellier (Planchais, 1987 ; Puertas, 1998a, 1998b), de Nice (Nicol-Pichard, 1982) et de Corse (Reille, 1984), ainsi que dans la basse vallée du Rhône (Triat-Laval, 1978). La brutale rétraction des groupements herbacés halophytiques qui formaient la végétation des berges lagunaires et l’installation de ce taxon en ripisylves le long des marais côtiers et/ou des ruisseaux qui s’y jettent, seraient les premiers signes de modifications édaphiques liées au passage d’un milieu lagunaire saumâtre à un cordon en cours de boisement rappelant le dispositif camarguais. Par comparaison des données issues de SETIF aux enregistrements polliniques littoraux de Méditerranée française, la zone pollinique Th3a correspondrait à la fin de l’Atlantique et au début du Subboréal. La limite entre ces deux chrono‑zones reste cependant difficile à situer dans notre diagramme. L’apparition d’une courbe continue de Fagus est généralement considérée comme point de départ du Subboréal (Beaulieu, 1974 ; Jalut, 1977 ; Perez-Obiol, 1988 ; Puertas, 1998a, 1998b). Les notations précoces de Fagus dès l’Atlantique ancien et l’absence d’extension de ce taxon marquent une autre spécificité du site, certainement due à sa position paléogéographique xéro‑thermophile. Cette transition n’est donc pas calée en chronologie. La présence discrète de Quercus type ilex (2 à 3 %) dans un contexte de régression des chênaies caducifoliées contraste avec les données acquises tant dans la basse vallée du Rhône (Triat-Laval, 1978, 1982) et en Corse (Reille, 1984) que sur la côte méditerranéenne occidentale (Planchais, 1982, 1987 ; Parra Vergara, 1988 ; Riera i Mora, 1990, 1993 ; Jalut, 1995) qui montrent un développement notable de ce taxon à la faveur d’une forte anthropisation du milieu. Comme à Embouchac dans le delta du Lez (Puertas, 1998a, 1998b), Quercus type ilex, mais également Pistacia et Phillyrea ne semblent pas profiter de l’ouverture des chênaies mixtes qui s’opère à cette période. Pourtant, l’anthracologie montre que Quercus ilex, Arbutus unedo, Phillyrea/Rhamnus et Pistacia, sont les essences dominantes dans le bois de feu des populations du Bronze final à La Fangade, site adossé au Mont Saint-Clair en rive sud de l’étang (Chabal & Figueiral, données inédites). On peut penser que le chêne vert et son cortège constituent (dès l’Atlantique ancien) la végétation principale du versant est de la colline, en stations rupicoles ou drainantes. Cette végétation serait peu perçue par la palynologie car la pente du Mont Saint-Clair est orientée à l’opposé du sondage SETIF. La chênaie caducifoliée aurait occupé principalement les sols alluviaux plus profonds de la berge nord de la lagune. En faveur de cela, en rive nord, les pieux du site de Montpenèdre (cf. fig. 1) au Bronze moyen et final, sont des essences caducifoliées (orme, chêne caducifolié, peuplier, frêne, saule) (Leroy et al., 2003), alors qu’en rive sud à la même période à La Fangade, 144 pieux sur 164 sont en chêne vert, les autres appartenant à la chênaie sempervirente (Greck, 2003). Dans ce cadre, la récession du chêne caducifolié à SETIF pourrait ne pas être essentiellement due aux activités humaines, mais à la montée marine et à la modification des conditions édaphiques qui aurait limité sa zone d’emprise. En effet, ailleurs en Languedoc, on voit son retrait progressif de la zone littorale après l’Âge du Cuivre, au profit du frêne et de l’orme (Blanchemanche et al., 2003, 2004 ; Cavero & Chabal, soumis).

26Une récession presque totale de Quercus type caducifolié, mais aussi des autres feuillus mésophiles à méso-hygrophiles d’affinité médio-européenne (Ulmus, Tilia, Acer, Alnus, Corylus, Betula, Salix), permet d’identifier une deuxième sous-zone Th3b (280-240 cm), correspondant à la deuxième moitié du Subboréal. Localement, les effets de l’ouverture des boisements sur la végétation du Mont Saint-Clair et du lido sont marqués par l’extension de formations herbacées rudérales et de pelouses sèches psammophiles (Anthemis type, Plantago lanceolata type, Sagina, Ephedra dystachia type, Valeriana, Cheno-podiaceae, Brassicaceae, Apiaceae, Filicales trilètes), et par une accélération de l’érosion des sols soulignée par l’augmentation de Coenococcum, champignon identifié comme marqueur de phénomènes érosifs (Wick et al., 2003). Les études anthracologique et carpologique du site de La Fangade au Bronze final au pied du versant nord du Mont Saint-Clair plaident, en effet, pour une anthropisation du milieu à cette période, marquée par des taillis de chêne vert dominants, en partie fermés et riches en arbousier, viorne-tin, avec présence de Laurus nobilis, une grande rareté du chêne caducifolié, et une abondance croissante d’espèces hélio-thermophiles (pistachiers, genévrier de Phénicie, olivier) pouvant évoquer en partie le lido, ainsi que du pin d’Alep (Chabal, Figueiral & Catanzano, inédit ; Bouby et al., 1999). Les analyses de macrorestes de La Fangade correspondent bien aux données de la palynologie pour le Bronze final (moyennant une perception pollinique plus lointaine), avec le développement de la chênaie sclérophylle et l’extension de fruticées, sous l’effet des coupes répétées, du pâturage et de pratiques agropastorales diversifiées (blé amidonnier, orge polystique vêtue, millet, lin, pavot, fève), aux abords immédiats du site sur les versants nord et est du Mont Saint‑Clair.

27La sous-zone pollinique locale Th3c (230-180 cm), attribuée au début du Subatlantique par référence à La Fangade (cf. supra), se caractérise par un minimum de représentation du pin et du chêne caducifolié, alors que les indicateurs d’anthropisation sont en pleine augmentation et se diversifient (Cerealia type, Polygonum avicu-lare type, Olea, Castanea, Juglans, Vitis, Rumex, Urtica type, Plantago media/major, Centaurea nigra type, Serratula type, Cerastium type, Campanula type, Lotus type, Veronica type, Onobrychis type, Sanguisorba minor, Apiaceae, Ranunculaceae, Filicales trilètes, Sordariales coprophiles, Coenococcum, Glomus fasciculatum). L’Âge du Fer et l’époque romaine sont ensuite marqués par l’ouverture croissante des boisements, avec des déboisements affectant les pinèdes qui se développaient dans les stations les plus sèches (pin d’Alep, pin noir de Salzmann ou pin pignon). Les activités agropastorales sont en plein essor avec une forte perception de Cerealia, d’indices polliniques de pâturages et d’arboriculture fruitière, qui font certainement écho au développement de la villa gallo-romaine des Prés Bas (Loupian). Les taux polliniques élevés d’Olea europaea pourraient dater une mise en culture dès le deuxième Âge du Fer. En effet, ce taxon est régulièrement présent, à l’état sauvage, depuis l’Atlantique ancien et il pouvait alors croître avec Juniperus phoenicea et Pistacia sur le cordon littoral et/ou en situations rupicoles. Mais l’anthracologie révèle entre 3 et 10 % d’olivier du Ier au Ve s. de notre ère sur le site de la villa des Prés Bas (Chabal, Figueiral, inédit) ce qui témoigne certainement d’une oléiculture locale, fait rare en Languedoc à cette période. Les populations ont pu tirer parti, dès l’Âge du Fer, de la bonne implantation de l’olivier sauvage, comme porte-greffe, pour développer sa domestication. En Provence, tous les sites juxta-littoraux enregistrent une augmentation des occurrences d’Olea dès le début du Subatlantique, ce qui semble confirmer la culture de ce taxon à une époque nettement antérieure à l’ère chrétienne, au moins depuis le IIIe s. av. J.-C. (Bernard, 1972 ; Triat-Laval, 1978). Dans ce contexte de forte exploitation microrégionale, la présence en continu de Vitis pourrait être, successivement, la perception de la vigne sauvage des ripisylves, puis des cultures plus ou moins précoces.

28La quatrième zone pollinique (Th4, 180-060 cm) est caractérisée par le retour d’une végétation herbacée halophile à Chenopodiaceae et Artemisia sous l’effet de l’atterrissement de la lagune avec formation de nouveaux marais salés, notamment dans le secteur qui sera plus tard occupé par les salines de Villeroy. Les modifications paléogéographiques associées à ces atterrissements ont pu créer de nouveaux milieux humides coupés de la lagune, permettant par endroits le développement transitoire de groupements hydro- à hygrophiles d’eau douce (Filipendula, Thalictrum, Filicales monolètes, Potamogeton, Pediastrum boryanum) de manière concomitante. Parallèlement, une extension des pins est observée (Th4a, 175-120 cm), associée à une légère recrudescence du chêne type caducifolié et des pionniers hélio‑hygrophiles (Alnus, Betula). Ces assemblages pourraient être la conséquence d’un relâchement de la pression humaine sur le milieu, par exemple au cours du haut Moyen Âge ; cette zone enregistre en effet un recul de l’ensemble des activités agropastorales avec un arrêt dans la perception des céréales et des arbres cultivés, une chute des indicateurs de la présence des troupeaux et une forte régression des espèces de prairies. Cette diminution de l’impact anthropique est alors cohérente avec une recolonisation des terres abandonnées par des formations forestières transitoires dominées par des pins, ou des Rosaceae arbustives, ainsi que le redémarrage de taillis et fruticées composés de chêne vert, filaire, buis et Ericaceae. Les pinèdes devaient sans doute être représentées par Pinus halepensis dont la stratégie expansionniste très forte lui a alors permis d’occuper de vastes territoires ouverts, en accord avec l’anthracologie qui, en Languedoc, n’enregistre une élévation des pourcentages de Pinus qu’après la période romaine (Chabal, 1997 ; Durand, 1998).

29Une forte perception des pratiques agropastorales souligne la fin de cette quatrième zone (Th4b, 115- 60 cm), tandis que les zones marécageuses de type saumâtre semblent toujours occuper de vastes étendues en marge de la lagune (zone des Salines de Villeroy), malgré une légère diminution des taux des Chenopodiaceae. Cette nouvelle emprise sur le milieu, que l’on peut associer au Moyen Âge et à une grande partie de l’époque moderne, affecte les pinèdes mais aussi les formations alluviales et les ripisylves qui persistaient encore ; seul Populus paraît favorisé. Il est probable que Populus remplace Alnus parce que sa très forte capacité de reproduction végétative le rend plus concurrentiel sur des sols alluviaux de plus en plus profonds et, pour les secteurs les plus côtiers, en raison de sa meilleure tolérance au sel. Alnus glutinosa est d’ailleurs complètement absent des ripisilves méditerranéennes côtières actuellement, excepté dans de rares stations (delta du Fango) et Populus alba représente un stade plus proche du climax de la forêt riveraine. Le déclin définitif de Quercus type caducifolié, Corylus, Fagus et Abies, phénomène daté autour du VIIIe s. en Camargue (Bernard, 1972 ; Triat- Laval, 1978), et postérieurement aux X-XIIe s. en Languedoc (Durand, 1998) est, en effet, observé parallèlement à l’augmentation de l’ensemble des marqueurs d’anthropisation : indicateurs pastoraux et de pelouses (Plantago media/major type, Centaurea nigra type, Urtica type, Rumex, Lotus type, Aster type, Evax type, Cichorioideae, Juniperus), plantes cultivées et arbres fruitiers (Cerealia, Vitis, Olea, Castanea), indicateurs de processus érosifs (Glomus fasciculatum) et particules carbonisées. La courbe de Quercus ilex type régresse également nettement dans cette zone ; une pression humaine croissante sur les forêts sclérophylles de chêne vert du Mont Saint-Clair pourrait être à l’origine de leur dégradation au profit de groupements arbustifs thermo‑héliophiles (Pistacia, Juniperus, Olea) moins sensibles à l’action anthropique, et de pinèdes, bien représentées sur le Mont Saint‑Clair.

30La cinquième et dernière zone (Th5, 50-0 cm) reste difficilement interprétable, une grande partie des échantillons de cette partie de la séquence s’étant avérée stérile. Les concentrations absolues sont très faibles et le couvert arboré est toujours peu diversifié, très amoindri et probablement encore très morcelé. Ces assemblages polliniques reflètent certainement la mise en place récente des paysages actuels observés dans les environs immédiats de l’étang : localement les sansouires régressent au profit de pelouses méditerranéennes très diversifiées plus ou moins sèches (Poaceae, Asteraceae, Apiaceae, Dipsacaceae, Cyperaceae, Plantago et Trifolium type), alors que le chêne vert et le pistachier commencent à coloniser les zones où la pression de pâture se relâche et que des pinèdes claires de pin d’Alep s’étendent sur les terres en déprise et les stations rupicoles du Mont Saint-Clair.

Fig. 4 a & b : Diagramme pollinique complet en fréquences relatives (%) et concentrations absolues totales de la séquence SETIF.

Fig. 4 a & b : Diagramme pollinique complet en fréquences relatives (%) et concentrations absolues totales de la séquence SETIF.

7- Synthèse paléogéographique et paléoécologique

31Les résultats du carottage SETIF s’intègrent dans un corpus de données paléo-écologiques et géomorphologiques qui permettent de proposer un schéma d’évolution littorale. Les lagunes actuelles de cette partie du littoral languedocien sont en place dès 7370 ± 40 BP (5863- 5543 BC) mais l’existence d’une lagune antérieure (8760 ± 50 BP, 7462-7048 BC) est certaine si on se réfère à la présence d’une coquille remaniée d’espèce lagunaire provenant d’une lagune située en mer. A l’extrémité est de ce littoral, le carottage du Lièvre, sur la rive est de l’étang de l’Or, avait mis en évidence l’existence d’une lagune contemporaine vers 7410 ± 90 BP (6440-6070 BC) (Berger et al., soumis). Le modèle régressif du littoral face à la montée du niveau marin est démontré à Sète par le carottage SETIF et par les données sismiques (Tessier et al., 2000 ; Certain et al., 2005). De même, sur le littoral de Frontignan, un site de l’Âge du Bronze probablement lagunaire est actuellement situé en mer à une trentaine de mètres du rivage.

32Les observations locales du niveau marin relatif sont relativement rares et ne permettent pas d’établir une courbe de la variation relative du niveau marin. Mais deux indices de la position verticale du niveau marin peuvent être comparés aux données régionales (Vella & Provansal, 2000). Il s’agit des limons lagunaires déposés dans un contexte protégé mais infra‑littoral sans qu’on puisse préciser la hauteur d’eau sus-jacente, et les vestiges d’un site palafittique du Bronze final (XIII-VIIIe s. avant J.-C.) en rive sud de l’étang (Leroy, 2002). Quant aux sables du cordon, ils ne permettent pas d’établir avec précision une position du niveau marin relatif. Leur caractère émergé n’étant pas véritablement avéré, ils peuvent osciller autour du niveau marin.

33La figure 5 compare le niveau marin déduit de la position de tourbes à Fos sur Mer aux indices observés sur l’étang de Thau. Les limons lagunaires (déposés entre 7050 ± 50 et 6540 ± 40 BP) sont tous situés au-dessus de la courbe de Fos d’au moins 100 cm. Ce décalage pourrait être dû en partie à des effets locaux de mobilité du substratum de Fos, antérieur ou contemporain du début de l’ère chrétienne. Mais la mobilité à Fos est au plus estimée à 50 cm or dans le cas de Thau le niveau de la lagune et au moins supérieur à 1 m. Les positions observées à Thau pourraient être accentuées par des mouvements de sens opposé ou par un caractère perché de la lagune. En effet, séparées de la mer par l’isthme formé par le substratum, la paléo-lagune a pu fonctionner temporairement comme un lac salé déconnecté de la mer. Les données ostracologiques des échantillons étudiés à la base du carottage confirmeraient pour le début de cet épisode lagunaire cette hypothèse. Les espèces saumâtres observées sont toutes issues de la lignée d’eau douce c’est-à-dire des espèces d’origine continentale et non marine, généralement trouvées dans les lacs salés. Ces observations sont cohérentes avec les données polliniques, qui indiquent la présence des plantes aquatiques ou hydrophiles et des algues d’eau douce avant 440 cm. Leur disparition brutale pourrait indiquer une connexion rapide de la lagune en même temps que le cordon littoral sableux recule et se met en place au niveau du carottage SETIF. Au Bronze final (XII-VIIIe s. av. J.-C.) un pieu aménagé découvert sur le site de la Fangade, suppose l’existence d’un plancher situé à -1,6 m sous le niveau NGF (Leroy, 2002). Des traces de feu lié à un incendie postérieur au façonnement du pieux descendent à -1,8 m sous le niveau NGF. De plus, il est probable que le plancher se situait nettement au-dessus du niveau marin de la période pour éviter sa submersion lors de la montée des eaux liées aux phénomènes de marées et de variation barométrique (phénomènes de surcote). Si l’on se réfère aux surcotes actuelles, observées à une fréquence pluriannuelle à Sète (Ullman, 2008), nous retiendrons comme position inférieure maximale du niveau de l’eau sous le plancher, la cote de -1,02 m correspondant au niveau de surcote de fréquence décennale (Ullman, 2008). Cet aménagement est en revanche compatible avec la position du niveau marin de Fos. Cependant, la forte amplitude du battement des eaux sous la position du plancher ne permet pas d’établir avec précision le niveau de l’étang de Thau à l’Âge du Bronze final. En revanche, cet indice permet de borner la fin du décalage de 1 m entre le niveau marin de Fos et le niveau de l’étang de Thau. Or, l’altitude du sommet du substratum de l’isthme entre Sète et Agde est d’environ -3 à -4 m sous le niveau NGF d’après les quelques sondages géologiques disponibles. De plus, la subite augmentation de la proportion du pollen de Chenopodiaceae à 175 cm ne correspond pas à un changement de faciès sédimentaire dans le carottage SETIF, mais à une nouvelle accélération dans la courbe de la variation du niveau relatif à Fos. Ce nouveau développement de la sansouïre serait une conséquence de la montée du niveau marin et atteste d’une connexion de la lagune avec la mer. Ce développement est cohérent altitudinalement et chronologiquement avec la courbe de Fos sur mer (fig. 5).

34Il est donc très fortement envisageable que jusqu’à ce que la mer atteigne, lors de sa montée holocène, la cote d’environ -3 à -4 m, l’étang de Thau fut très fortement isolé de la mer et qu’il ait fonctionné comme un lac saumâtre par les seuls effets des apports d’eau continentaux de surface et karstiques. La salinité du lac était dépendante des volumes de ces apports, assez faibles dans l’ensemble, et de la concentration des saumures par évaporation. Ce dispositif n’est pas sans rappeler celui de la lagune de Leucate (Certain et al., 2004) où un isthme sédimentaire pléistocène fluviatile séparerait une dépression lacustre. Cependant cette interprétation est remise en cause par des données sismiques récentes (Tesson et al., sous presse) qui attribue le corps sédimentaire au domaine marin et à l’Holocène. Mais en l’absence de chronologie radiocarbone et d’identifications paléoécologiques probantes les deux hypothèses restent admissibles.

35Enfin, les sables sommitaux déposés sur le revers du lido dans un environnement proche d’une sansouïre se situent logiquement proches du niveau marin voire légèrement sous celui-ci.

36Dans ce contexte général d’évolution paléogéographique, la palynologie du sondage SETIF, alimentée par les apports d’autres disciplines telles que l’anthracologie et la carpologie, permet d’esquisser l’évolution de la végétation côtière. La séquence témoigne à la fois du réchauffement global à partir de 7000 BP environ et des transformations paléogéographiques propres à ce secteur du littoral.

37Dès le début de l’Atlantique ancien, une végétation très ouverte herbacée de caractère continental avec des traits méditerranéens, est majoritaire. Elle est probablement locale et de déterminisme édaphique, compatible avec l’installation récente d’une lagune et d’un cordon. Mais des formations pionnières de filaire (probablement Phillyrea angustifolia) et une courbe continue de chêne type Quercus ilex dès la base, confirmant le caractère thermophile du secteur, évoquent plutôt les pentes bien exposées du Mont Saint-Clair. Le cordon littoral quant à lui connaîtrait une colonisation arbustive sur lequel s’installent aussi certainement pro parte, Juniperus phoenicea, Pistacia et Olea. C’est une vraie originalité de ce secteur : dans tous les sites nord méditerranéens Phillyrea est très rarement rencontré en abondance ; en Provence il se développe à l’Atlantique mais ne dépasse pas 5 % (Triat-Laval, 1978, 1982). Beug (1982) signale un développement pendant une phase correspondant à peu près à l’Atlantique. Quant à Quercus ilex, il est perçu dans d’autres secteurs sous forme de refuges dès le Dryas récent (Triat-Laval, 1978) mais ne démarre pas pour autant une courbe continue à l’Atlantique (Embouchac, Lattes, Puertas 1998). Ainsi, à SETIF les conditions locales thermophiles modulent fortement l’effet des facteurs globaux.

38Le démarrage rapide de la courbe du chêne caducifolié et son maximum à l’Atlantique ancien est une évolution globale liée au climat, qui conforte les calibrations des datations. Sa courbe, synchrone de celle du noisetier et du frêne, peut signer le rôle pionnier de ceux-ci sur des sols à meilleure rétention en eau que pour la filaire et le chêne vert. Du fait que la récession du chêne caducifolié à l’Atlantique récent et au Subboréal n’est pas accompagnée du développement de la chênaie sempervirente et du fait que les conditions sur le lido ne sont pas favorables à une accumulation alluviale, on est amené à supposer que dès le début de la séquence, la chênaie caducifoliée et les taxons mésophiles ont trouvé leur développement plutôt en rive nord de l’étang de Thau, alors que les formations sempervirentes plus xérophiles connaissaient un développement indépendant, sur le Mont Saint-Clair et le lido. Cette hypothèse est étayée par les données issues de l’analyse de macrorestes dans les sites archéologiques en rive sud et en rive nord qui montrent cette opposition. La récession de la chênaie caducifoliée en rive nord est alors probablement due plutôt à son retrait des zones alluviales, qui se sont progressivement colmatées et engorgées à la fin du Subboréal, qu’à une action humaine que l’évolution du chêne vert ne vient pas étayer. Cette hypothèse est confortée par l’anthracologie qui montre dans d’autres secteurs (étang de l’Or, delta du Lez) le retrait de la chênaie et le développement concomitant de forêts alluviales de frêne et d’orme.

39La courbe des Chenopodiaceae, certainement des espèces halophiles, témoigne du développement local de sansouïres dès l’Atlantique ancien, sous forme de marais saisonniers sursalés, écho direct du développement d’un environnement lagunaire et des fluctuations de ses berges. De l’Atlantique récent à la fin du Subboréal, les sansouïres sont moins développées, marquant peut-être la mobilité du lido. Au Subatlantique, les sansouïres connaissent un nouveau développement, certainement sous l’effet d’une moindre mobilité sédimentaire conjugué à une nouvelle accélération de l’élévation du niveau marin relatif.

40L’action humaine est perçue dès la transition Atlantique ancien/récent avec l’apparition des céréales et l’élévation des marqueurs polliniques associés à la présence de troupeaux (indicateurs pastoraux). La palynologie est congruente avec l’anthracologie et la carpologie qui montrent pour le site de la Fangade, au Bronze final, la perception de taillis de chêne vert, riches en arbousier et en pistachier, avec le genévrier de Phénicie et l’olivier. Cette végétation thermophile pauvre en chêne blanc est interprétée comme l’effet de l’exploitation du versant est du Mont Saint-Clair et du lido, sous l’effet des coupes répétées et du pâturage. La fin de la séquence indique de forts taux polliniques d’olivier qui font certainement écho à la villa gallo‑romaine des Prés Bas sur la rive nord de la lagune, où l’anthracologie a pu montrer une oléiculture, fait rare en Languedoc, à cette période. La légère recrudescence du chêne caducifolié est probablement médiévale, et l’extension des pins, probablement le pin d’Alep, témoignerait de la conquête, postérieurement à la période romaine, de zones de cultures et de pâturages abandonnés.

Fig. 5 : Comparaison de la courbe de variation du niveau marin relatif de Fos aux observations effectuées dans l’étang de Thau.

Fig. 5 : Comparaison de la courbe de variation du niveau marin relatif de Fos aux observations effectuées dans l’étang de Thau.

8 - Conclusion

41L’approche croisée palynologique et sédimentologique sur le carottage SETIF a permis de reconstituer un schéma dynamique des milieux et de la géomorphologie littorale. La très forte adéquation entre les données polliniques et les données géomorphologiques renforce la validité du schéma établi. Ce travail permet de dater pour la première fois le Lido de Sète et de confirmer le recul littoral dans un contexte dynamique dominé par les vagues inhérent à ce secteur faiblement alimenté par les apports fluviaux. Le schéma semble même pouvoir être étendu en mer, à partir des données sismiques recueillies par ailleurs, ainsi qu’à une plus grande partie du littoral du Languedoc-Roussillon, si l’on se réfère aux études récentes menées autour de la lagune de Leucate. Enfin, la prise en compte de déconnexions éventuelles des lagunes avec le niveau marin apportées par l’étude ostracologique permettra à l’avenir une plus grande prudence quant à l’interprétation des dépôts lagunaires en terme de position du niveau marin.

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List of illustrations

Title Fig. 1 : Carte de localisation de la séquence étudiée (SETIF) et d’autres sites cités dans ce travail.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5440/img-1.jpg
File image/jpeg, 44k
Title Tab. 1: Datations radiocarbone AMS sur coquilles et graine de la séquence SETIF (Sète, Hérault) : dates 14C (années BP) et intervalles calendaires (années calibrées BC/AD 2σ avec effet réservoir).
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5440/img-2.jpg
File image/jpeg, 48k
Title Fig. 2 : Stratigraphie de la séquence SETIF du lido de Sète à Agde (Hérault).
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5440/img-3.jpg
File image/jpeg, 52k
Title Fig. 3 : Reconstitution 3D et bathymétrie du Lido de Sète à partir des sondages BRGM et de la carte IFREMER (Berné et al., 2002 ). Un isthme dont le sommet est situé à environ –3 m NGF se dessine nettement séparant la mer de l’étang.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5440/img-4.jpg
File image/jpeg, 32k
Title Fig. 4 a & b : Diagramme pollinique complet en fréquences relatives (%) et concentrations absolues totales de la séquence SETIF.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5440/img-5.jpg
File image/jpeg, 128k
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5440/img-6.jpg
File image/jpeg, 128k
Title Fig. 5 : Comparaison de la courbe de variation du niveau marin relatif de Fos aux observations effectuées dans l’étang de Thau.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/5440/img-7.jpg
File image/jpeg, 41k
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References

Bibliographical reference

Mona Court‑Picon, Claude Vella, Lucie Chabal and Hélène Bruneton, Paléo-environnements littoraux depuis 8000 ans sur la bordure occidentale du Golfe du Lion. Le lido de l’Etang de Thau (carottage SETIF, Sète, Hérault)Quaternaire, vol. 21/1 | 2010, 43-60.

Electronic reference

Mona Court‑Picon, Claude Vella, Lucie Chabal and Hélène Bruneton, Paléo-environnements littoraux depuis 8000 ans sur la bordure occidentale du Golfe du Lion. Le lido de l’Etang de Thau (carottage SETIF, Sète, Hérault)Quaternaire [Online], vol. 21/1 | 2010, Online since 01 March 2013, connection on 28 March 2024. URL: http://journals.openedition.org/quaternaire/5440; DOI: https://doi.org/10.4000/quaternaire.5440

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